jeudi 11 décembre 2008

Beyrouth ville ouverte


Beyrouth ville ouverte de Samir Habchi

Une nouvelle page dans l'histoire du cinéma libanais







Dès le début du film le spectateur accroche : on est en été 1989, l’accord de Taef vient d’être signé et approuvé par les dirigeants libanais chapeautés en Arabie Saoudite par le président du Parlement de l’époque, Hussein el-Husseini. Le général Michel Aoun se rebelle et les foules partisanes envahissent tous les jours le palais de Baabda. Le 13 octobre, les troupes syriennes entrent au Liban. Le général Aoun se réfugie à l’ambassade française avant de s’exiler en France au bout de quelques mois. Les images réelles défilent, en noir et blanc. Beyrouth, au milieu des années 90, est plongée en pleine reconstruction, en pleine « mondialisation, en pleine hégémonie syrienne ». Un convoi passe en trombe, le drapeau américain flotte sur 5 jeeps identiques, vitrines noires et fumées, klaxons tonitruants, vitesse excessive, garde du corps et fusils pointés des voitures… un photographe tente de prendre des clichés du convoi. Il est aussitôt rabroué. Khaled, lui, y parvient. Et quitte la scène, sa caméra en main.
Le film peut débuter. Le générique est finalement lancé, la musique vous prend aux tripes, forte, cadencée, puissante, au fur et à mesure que les « tags » apparaissent sur les murs et s’effacent pour êtres aussitôt remplacés par d’autres : « complot », « Aoun revient », « une guerre libanaise contre des Libanais »… écrits par le sang, par l’encre, noirâtre, rougeâtre.


L’inquiétante étrangeté
Le cinéaste libanais Samir Habchi a réalisé en 2008, son 2ème long-métrage : Beyrouth ville ouverte, ou Beirut open city, du titre original Doukhan bila nar, traduit littéralement par « Fumée sans feu ». Le film relate l’histoire de Khaled Mansour el-Haddad, un jeune cinéaste égyptien qui vit à Beyrouth. La cité peine à se reconstruire, prise en main par feu l’ancien 1er ministre Rafic Hariri, et prise dans l’étau de la tutelle syrienne, après une guerre civile dévastatrice de 15 ans. Khaled réalise un film sur la répression dans les pays arabes à travers des évènements qui se déroulent au Liban. Parce que dit-il « Beyrouth jouit d’une plus grande liberté d’expression. C’est la Suisse du Moyen-Orient ». Et son interlocuteur Hamid, interprété par Rodney el-Haddad, ricane aussitôt. Hamid a subi le joug des services de renseignements, la torture « balanco » qui vous fait « voir le monde à l’envers jusqu’à avouer tout ce que vous voulez entendre ». Hamid, comme d’autres personnes qui apparaissent au fur et à mesure que le film progresse, sont la source d’inspiration de Khaled, les personnages de son scénario. Pourront-ils répondre à ses attentes ? Donner des explications à ses multiples questions et requêtes ?
Khaled ne cesse de déambuler à Beyrouth, caméra en main, filmant sa propre vision de la ville. Et petit à petit, les histoires s’entremêlent et les murs de son appartement se recouvrent des pages du scénario.
Etrange ville, inquiétante ville où l’identité des personnes n’existe que dans la mort. Tel ce jeune citoyen, abattu par mégarde, une bévue, et dont l’identité n’est révélée que quand sa mère, endeuillée et en pleurs, murmure son nom : Sami. Mais il y a aussi Ibrahim qui meurt de manière absurde, et dont le nom est révélé par le biais de la télévision, ou Wissam dont l’assassinat fait la une des journaux. Samir Habchi se joue de l’effet de l’information, qui n’est qu’une autre facette de la désinformation ou de la manipulation médiatique. Et à Beyrouth, la manipulation règne, les familles se meuvent en clan, vendetta ou non, et tirent en l’air aussi bien pour exprimer leur colère que leur joie. Difficile de distinguer entre ces deux états d’âme, la caméra de Samir Habchi se faufile à travers les personnages et leurs sentiments, capte les détails, les exacerbe et le spectateur retient son souffle, emporté par les tableaux qui défilent. Des tableaux tellement bien filmés qu’ils en deviennent dérangeants et le spectateur s’y plait à merveille.
Beyrouth ville ouverte retrace à merveille la dualité sensuelle d’une ville triturée et touillée, violée et fouillée jusque dans ses nuits et les courses poursuites qui s’enclenchent dans ses rues et ruelles. Khaled est pourchassé par les services de renseignement alors qu’il tentait de filmer une manifestation d’étudiants devant la Cour de justice. Hamid à son tour est pourchassé parce qu’il taguait les murs. Quelle sera l’issue de cette chasse à l’homme ? Khaled se penche sur son scénario, imagine une fin puis une autre, fait et refait ses plans pour accoler celui qui lui convient le mieux sur les murs de son appartement. Réalité ou fiction ? Quelle est la part de l’imaginaire ? De mise en abyme en mise en abyme, Khaled a recours à la technique de la confusion dans la structuration de son scénario. Tout comme son créateur Samir Habchi qui brise d’emblée le jeu figé de la distanciation. D’ailleurs c’est bien l’acteur Khaled el-Nabaoui qui joue le rôle du personnage Khaled Mansour el-Haddad.
Le spectateur se perd et pénètre l’univers créé par Khaled, qui lui, à son tour, est emporté par la ville et ses personnages, perdu dans ses dédales qu’il construit et reconstruit. Jusqu’à être happé par la réalité. Les faits réels eux s’arrêtent le jour de l’amendement de l’article 49 de la Constitution, permettant la prorogation du mandat du chef de l’Etat Emile Lahoud. Mais la fiction se poursuit, côtoyant le surréel jusqu’au dénouement absurde et étrange au cours duquel Al-Qaëda fait son apparition. Et l’émerveillement se poursuit.



Article publié dans Magazine #2666

samedi 6 décembre 2008

Le Liban en musique

Je poste ici une série d'articles sur la musique dans les pubs au Liban, parus dans l'Agenda culturel.

Un deux voix

Le rendez-vous est donné. Sur la scène du Blue Note, un piano et une basse, et sous la lueur de la note bleutée, Tarek Yamani et Jean Madani. Le groupe initialement programmé a annulé in-extremis. Impossible de laisser la scène vide… le réseau de musiciens entre en action, en coulisses, de coups de fil en pourparlers ; agenda chargé, honoraire à négocier, impossible de trouver un batteur, difficile de tenir la route à deux… qu’importe, l’essentiel est que l’émotion soit là.
Assise au bar, je jette un coup d’œil sur ce fameux papier rouge que tout habitué du Blue Note connaît ; efficacité oblige, le duo figure sur le programme hebdomadaire. Un verre de vin à la main, emportée dans les veloutés sonores ; la basse, la colonne vertébrale de la musique difficilement discernable par l’auditeur lambda, finement malmenée par Jean Madani pour fusionner avec les mélodies naissant des doigts de Tarek Yamani qui effeuillent les touches du clavier. Et le temps file… dans l’attente d’autres synergies musicales.
Jean Madani et Tarek Yamani, membres du groupe Fun Jan Shai qui a notamment enregistré avec Ziad Ahmadieh l’album Beyond Traditions, sorti en 2006, sur le label « Incognito ».
www.myspace.com/funjanshaiproject
www.myspace.com/tarekyamani
www.myspace.com/civilbass


La Tradition enchantée

Réveil à l’aube ce matin. Direction l’aéroport de Beyrouth, atterrissage à Chypre. Le soir, retour à Beyrouth, direction Gemmayzé, pour ouvrir les battants des deux portes du Bar Louie. Le sigle rouge écarlate, les sourires s’affichent… Ziad Sahhab et son groupe nous réservent un accueil scénique, un mini-discours improvisé pour célébrer notre mariage. Et le spectacle continue tout en musique. Le pub est plein à craquer. La salle est chauffée, surchauffée, les femmes dansent, les hommes aussi, les hanches oscillent et les mains applaudissent au gré des instrument ; le oud de Ziyad Sahhab, le qanoun de Ghassan Sahhab, le cajun d’Ahmad Khatib, la basse de Bachar Farran, le piano de Rayan el-Haber, tous modulent la voix de Yasmina Fayed et celle de Ziyad aussi. Une lente mélodie pour débuter, puis une énergie purement musicale. En attendant, Yasmina, tout de noir vêtue, s’assied sur scène. Puis elle reprend le micro pour entonner Jeet ta hibbak… la salle exulte, Ziyad y va de son jeu et ses compositions originales s’enchaînent. On dirait tout le Liban condensé en cette petite salle. Le lendemain, coup de fil d’une amie : « Est-ce que Ziyad Sahhab joue ce soir ? Et où ? »


Et la virtuosité a une adresse…

L’agenda de tout noctambule beyrouthin craque à force de contenir adresses et astuces. Monnot semble révolu jusqu’à nouvel ordre, Gemmayzé bat toujours son plein et la rue Hamra renaît de plus en plus. Certains évoquent un nouveau Gemmayzé en se frottant les mains, d’autres regrettent déjà l’élitisme de cette rue historique. A la rue Makdessi; départ au Café de Prague, arrivée à Walimat Wardé, entre ces deux antres, une nouvelle intersection, Crossroads. La musique live a une nouvelle adresse. Arthur Satyan au piano, Abboud Saadi à la basse et Walid Tawil à la batterie ont donné le « la ». Samba, fusion, jazz funk, Autumn leaves ou Nature boy… Serveur, encore un verre, et pourquoi pas ! Dans ces cas-là, on ne compte pas les billets, on compte les verres ! Et Arthur Satyan égrenait de son synthé mille et un instruments… les effluves d’une guitare ou le tempo des percussions… une vraie boîte de Pandore. Et un verre pour la route, en attendant que la musique d’Arthur Satyan et son groupe initial (Abboud Saadi à la basse, Fouad Afra à la batterie et Khaled Yassine aux percussions), soit un rendez-vous hebdomadaire, tous les samedis, à Hamra aussi.

dimanche 3 août 2008

Quel message?

« Liban, pays message » : le créateur de cette fameuse citation aurait pu s’en mettre plein les poches, s’il l’avait voulu, en récoltant les droits d’auteur à chaque fois que quelqu’un utilise ce cliché, il faut bien le dire. De nos politicards aux politicards étrangers, les Français en tête – faut bien aussi c’est notre chère Mère patrie – aux simples citoyens lambda, quand ces derniers ne préfèrent pas un autre cliché comme le pays du cèdre…
Pays message : ce syndrome nous colle à la peau. Absurde de l’évoquer encore au moment où le sang confessionnel de mai n’est pas encore oublié, au moment où à Hamra, à chaque coin de rue, le signe du PSNS jaillit de derrière une devanture, sur une banderole clamant haut et fort l’appartenance de cette région à un parti politique affilié à une confession, à un mouvement…
Pays message ou non, le message existe : il est dans le son du muezzin. Une constatation qui s’est imposée en quelques minutes, le temps de synthétiser les donnes et les sensations que je récolte depuis plus de deux ans déjà.

Il a suffi d’une nuit passée à Zouk, du côté de Jounieh pour me réveiller une fois aux sons des cloches… mais j’ai beau tendre l’oreille, et m’attendre à la suite… il n’y en avait pas. Les cloches claironnaient allègrement, sans concurrence, elles tintaient et tintaient de « l’aube claire jusqu’à la fin du jour… ». D’un coup je me suis sentie tellement nostalgique de la rue de Damas, de la rue du Musée national, à mi-chemin, entre les deux antres de Beyrouth… La rue où mon premier réveil s’effectuait au son du muezzin, mon deuxième au gazouillis des oiseaux, et le troisième au tintement des cloches. Antoine Boulad disait bien dans sa Rue de Damas que « c’est grâce au muezzin de la mosquée de ce quartier […] que je pus grandir avec la musique de la différence, celle qui me protègera, ma vie durant, de la fermeture du cœur et de l’esprit ».
Un de mes amis résidant à Rass-Beyrouth depuis son enfance suffoque dès qu’il sort de cette région. Il m’explique souvent qu’il a besoin d’entendre le muezzin cinq fois par jour… Je le comprends… je commence à étouffer, physiquement, viscéralement, dès que j’atteins la Place Sassine, au centre d’Achrafieh, le terreau du christianisme de Beyrouth, vous savez, cette contrée phénicienne… comme on nous l’a si bien enseigné dans nos livres d’histoire !!
Vivement Hamra et ses ruelles embouteillées…

vendredi 1 août 2008

Beyrouth, ou la galère musicale



Une trop longue absence loin des mots, loin du net. Mais toujours dans la musique, de plus en plus même. Cette fois c’est un peu différent, cette fois c’est en coulisses. Dans les méandres de la musique locale. Et croyez-moi, des fois, souvent, voire toujours, c’est la galère pour les musiciens, nos musiciens.
Un musicien libanais a les pieds sur terre, et un regard dans le rêve. Obligé de garder le contact avec la réalité sinon il est ravalé par la stupidité d’un peuple ignare, débile, assoiffé de facilité, de commercialisation à outrance et nourri de ce fameux air de la bêtise. Caustique peut-être, sévère sûrement, mais à juste titre. Je ne supporte plus cette opulence libanaise, cette bombance festive et bling-bling à paillette et dorure. Cette opulence qui prétend vouloir acheter l’âme de l’art, l’âme de la musique, l’âme des musiciens.
Mais eux c’est sur scène que leur réalité se concrétise. Au Bar Louie ce soir, ils s’en sont donnés à cœur joie. Percussions, piano et basse, les notes affleuraient l’esprit du jazz, cette entité évanescente que les musiciens coincent dans leurs instruments, qu’ils touillent et triturent pour l’offrir au public, à ces personnes qui s’entassent tous les soirs dans les pubs beyrouthins. Inconscientes des heures de labeur passées à s’entraîner, à accorder les instruments, le son, à peaufiner le moindre détail pour que la communion sur scène soit contagieuses, pour que le public s’enflamme et ressente les réverbérations musicales jusque dans sa chair, pour que la scène à son tour bouillonne davantage… pour que le public… pour que la scène… pour que…


Spectatrice assidue et silencieuse de ce va-et-vient oscillant, je m’essaie au jeu de rôle. Une fois je suis ces cordes que Jean Madani coince entre ses doigts, l’autre les murmures que Tarek Yamani engendre sur son clavier, ou les baguettes que Khaled Yassine ou Samer Zagher font résonner sur leurs caissons, puis ces graines que Selman Baalbacki secoue au fond de ses percussions… et au-delà jaillit la voix de Florinda Piticchio et ses airs de latin jazz, à l’italienne pourquoi pas… Des moments suspendus où l’intensité le dispute à l’extase, où phrasés, mélodies et paroles s’enchevêtrent… jusqu’aux applaudissements à chaque morceau…

Et après ! Après les applaudissements, branle-bas de combat… Avant les applaudissements aussi. Parce que parmi la horde d’ignares, se trouve l’une des bêtes noires des musiciens : les propriétaires des pubs, des clubs, des restaurants et autres endroits réceptacles de la musique… Près de leurs sous, ce n’est pas autant cela, en tout cas ce serait compréhensible, après tout rares sont ceux qui ont ouvert leurs portes pour les beaux yeux de l’art… Mais l’indécence a ses limites… quand elle oblige un faiseur de magie à moduler ses sons… à regretter l’espace de plusieurs vies de chambouler des vies…
De retour du Bar Louie, je me suis finalement décidée à tenter d’écrire ces quelques lignes. La musique me berce encore, pleine de tristesse et de mélancolie. Mais il restera toujours une image : la communion scénique en musique et le dialogue des instruments et des musiciens, le sourire complice entre leur regards…






jeudi 19 juin 2008

Beyrouth, l'obsession.



Ils sont là depuis plus d'un an.






Ils sont toujours partout.






lundi 9 juin 2008

L'Astrale

Encore une fois, place à la musique. Décidément je penche de plus en plus ces temps-ci à penser que c’est le plus bel art au monde (en général, la littérature a de tout temps comblé tous mes besoins, mais bon… heureusement qu’on change avec l’âge…). Et puis il faut pas oublier que les concerts foisonnent au Liban ces quelques jours. En attendant les festivals de l’été (on va avoir une belle surprise à Byblos, je crois, à part les aficionados de Mika qui vont se ruer pour applaudir la star du moment… faut bien encourager ceux qui ont du sang libanais, non ?) les Libanais ont eu l’immense plaisir de baigner dans la musique du terroir. Charbel Rouhana et Ziyad Sahhab ont déjà donné «ce qu’ils ont de plus beau» sur la scène du théâtre Babel. Puis ce fut au tour de Rima Khcheich d’enchanter le public à l’occasion du lancement de son dernier CD : Falak. Je ne vais pas m’étaler sur le concert… mais sur l’album que je repasse en boucle depuis…



Ca ne fait pas très longtemps que je suis une fan de la musique libanaise, à part les légendaires Feyrouz et Marcel Khalifé. Mais là c’est le coup de foudre! Rima Kcheich a su extraire l’essence même de la sensualité libanaise, ce romantisme oriental, nostalgique et mélancolique dans sa voix, son interprétation, l’oscillation de ses intonations, émouvante et désarmante, tissant une liaison directe et empreinte d’émotion avec ses auditeurs, de tous les âges… Il y a deux jours, j’ai eu une discussion avec une de mes connaissances. On tentait de déterminer lequel des albums de Rima Kcheich est le plus beau : eh bien pour moi, il n’y a pas de doute : c’est Falak. Les mélodies sont tellement bien structurées qu’elles forment un écrin soyeux à la voix enrobée de Rima. Pourtant, à la 1ère écoute et durant le concert, je n’ai pas toute de suite accrochée. Mais au fur et à mesure que j’enchaîne les écoutes, cet album me devient indispensable et je me retrouve à fredonner les chansons, tout au long de mes journées.

Alors pour le plaisir des arabophones, un extrait de la chanson éponyme, un texte de Issam al-Hajj3ali

هيدي الغنية لإلك
دواير ونجوم وفلك
رفقة قمر ولمسة هنى
ما هيي قوية جازبيتك
كل الإشيا وانا عم نوقع بحبك
أخر صورة إنت قبل ما إحلم فيك
رمشة عين وما في حدا غيرك
كأنو الحلى ما بأ يكفيك
وإذا الخمر العتيق ما بيرويك
خمر الحكي شو رح يعمل معك

وجوابك هيئتو الله يعافيك
وسمحلي لأخر مرة خبرك
قبل ما إرجع ضيّعك
هيدي الغنية لإلك


Et un semblant de traduction:

Cette chanson est à toi
Orbite, étoile et astre
La lune compagne et une touche de félicité
Ton attraction est tellement forte.
Toutes les choses et moi tombons amoureux de toi
Tu es la dernière image avant que je rêve de toi
Un coup d’œil et il n’y a personne d’autre que toi
Comme si la beauté ne te suffisait plus
Et si l’antique vin ne te désaltère pas
Qu’en sera-t-il du vin des paroles !

Ta réponse semble… (intraduisible)
Permets-moi pour la dernière fois de te dire
Avant de te perdre à nouveau
Cette chanson est à toi

Faut que je bosse, c’est à dire faut que j’écoute d’autres CD… Mais je n’y arrive pas. Rima trotte toujours dans ma tête. Mais bon, un petit effort et ça y’est.
Donc musique toujours, mais cette fois en dehors de la géographie libanaise, avec deux très grands artistes : Patti Smith et Nick Cave et leur dernier album que j’ai finalement pu écouter.
Dans «Twelve», la légendaire chanteuse de «Gloria», nous revient, sexagénaire cette fois, avec des reprises folk, et sa voix éraflée si particulière reprend certaines des plus belles chansons des plus grandes figures du rock : Rolling Stones, The Doors, Bob Dylan, Neil Young… et Nirvana. Son «Smells like teen spirit» dépaysera plus d’un…
Et Nick Cave alors : «Dig !!! Lazarus Dig !!!». Nick Cave a réellement creusé et touillé les entrailles de sa musique pour offrir ce bijou. Et ces petits «dribbles» très rythmés de «Moonland»…

jeudi 5 juin 2008

Beyrouth frétille

Cette fois juste une envie: montrer un des cachets obsessionnels de Beyrouth, la ville qui guette.








Beyrouth qui guette ses artistes pour habiller ses façades inertes.







Une série de photos suivra pour un parcours fantasmagorique à travers les ruelles beyrouthines.

mardi 3 juin 2008

Cercle vicieux

Il est vrai que je tourne en rond, que je raconte la même chose ; Beyrouth en fonction des guerres : l’ancienne, la plus ancienne, la nouvelle, celle à venir, celle d’un jour… et les dates et les qualificatifs qu’on y colle, en profusion. En général c’est du noir, et jamais le terme honteux, étant donné que les Libanais sont tout le temps manipulés par je ne sais quelle force externe obscure qui s’acharne sur nous. Ah, le complot, le complot !!!

Mais je crois que c’est une manière de dire que ces pages du passé, qu’on tourne si fréquemment au Liban, ne se tournent pas si facilement au quotidien, malgré les apparences d’euphorie qui nous empoignent à chaque déclaration d’accord et d’entente des gouverneurs d’ici et d’ailleurs. Ces guerres et ces pages noires, on les vit au quotidien, à chaque pas qu’on fait dans la rue, à chaque mot qu’on prononce dans une conversation, à chaque image qui nous effleure, même dans nos rêves, même dans notre volonté de les dépasser, de montrer une autre facette des Libanais.

Ces guerres sont inhérentes à notre existence. Et chaque page du passé, tournée ou non, est écornée à son petit bout et compilée dans le Grand Livre des Souvenirs individuels. On y revient souvent pour se documenter, établir des comparaisons et tenter d’en tirer une synthèse. Mais peine perdue, on continue à vivre d’instants saisis à la hâte, volés au provisoire… Et c’est en cela que réside l’intensité du moment, je crois. Ou l’illusion de vivre quelque chose d’intense.
A moins que tout simplement, il faut que je sorte un peu de Beyrouth.

lundi 2 juin 2008

Un code de la route réversible

La manière de conduire des Libanais est légendaire ! Tout le monde le sait, notre réputation nous a devancé aux quatre coins de la planète. Il y a vraiment de quoi sourire, profondément…
De klaxons tonitruants, en passages à sens inverse spectaculaires, en insultes, en tochfit, en démonstration frém id ou bitwinét… et j’en passe. Et puis il y a les feux de circulation routière…Toute une histoire avec ces bidules longilignes qui sont installés au Liban depuis un peu plus d’une décennie, pas plus… Nous n’y sommes pas encore complètement habitués, nous aimons prendre notre temps en général, pour explorer les nouveautés, s’y accoutumer petit à petit…Et pour preuve supplémentaire, l’arrêt au feu rouge varie en fonction des tribulations de notre pays.

En mai 2008, après la mini-guerre civile qu’on a eu, le passage d’Acharfieh à Hamra a été dur durant les quelques jours qui ont suivi la fameuse prise de Beyrouth… Francs-tireurs, miliciens armés, angoisse, rues désertes, semi désertes et visages hagards. Feu ou pas feu, l’essentiel était d’arriver à bon port, le plus rapidement possible, avec un minimum d’attention. Et une hantise, surtout ne pas s’éterniser face à un feu. Une position facile et accessible à tout badaud armé…
Sans oublier qu’après la levée du sit-in du centre ville, qui rendait impraticable une grande partie des rues, donc inutile une grande partie des feux, il a fallu s’habituer à nouveau à la convergence des voitures aux multiples croisements, et à l'ordre établi par la signalisation routière.
Durant la guerre de juillet 2006, il fallait beaucoup de patience et d’auto encouragement. Il ne s’agissait pas simplement d’attendre que le feu vire au vert, mais qu’il y ait une autre voiture (surtout pas un camion !) à côté ou derrière la mienne…La logique du moment m’imposait, pour je ne sais quelle raison, la nécessité de ne pas être la seule voiture à traverser un des ponts de la capitale, avec les menaces et les rumeurs qui circulaient comme quoi ce fameux pont, reliant les deux côtés de Beyrouth, serait une des prochaines cibles de l’armée israélienne. Mais on ne savait pas le timing, alors on appuyait de toutes nos forces sur l’accélérateur… Une fois engagée sur la route, plus moyen de faire marche arrière. Je n’ai jamais auparavant de ma vie dépassée, et de loin, les 100 km sur cette route.

Et en temps normal, alors ? (ou ce qu’on peut appeler normal au Liban). Un soir sur mon trajet de Hamra à Achrafieh, comme à mon habitude, je m’arrête à un feu rouge. Evidemment j’étais la seule. Emportée par la musique qui émane de mes baffles, un coup furtif sur la vitre me fait sursauter. Un militaire, l’air renfrogné me dévisage. J’ouvre la vitre, et voilà qu’il me demande pourquoi je suis garée en plein milieu de la route ! J’ai l’air suspecte toute seule… qu’est-ce que j’en sais moi… c’est lui le pro ! Sans un mot, je lui indique ce petit clignotant ROUGE au bout. Enervé, il m’ordonne de bouger avec ce geste désinvolte de la main qui veut dire : «mich ma3oul, chou béla fadé !» (traduction : «elle n’a rien d’autre à faire de plus important, celle-là»). Et je suis partie, comme on me l’a fait comprendre.
Et depuis…

Et depuis, rien n’a changé. Je continue à respecter le feu rouge, en attendant qu’ON m’ordonne à nouveau de le brûler…Ou qu’on ait une nouvelle guerre…
Ah, pouvoir récolter toutes les histoires relatives à la circulation à Beyrouth, à la manière de conduire des Libanais. Un régal. A propos, pour ceux qui ne connaissent pas, le plus beau texte et le plus hilarant que j’ai jamais lu sur ce sujet, rédigé par une main de maître, celle du metteur en scène libanais Elie Karam : «La route de soi» disponible dans le numéro spécial de la Pensée de Midi (no20-mars 2007) consacré à notre cher pays : «Beyrouth XXIe siècle»… Vous serez sûrement catalogué parmi les personnes qui rient toutes seules face à un bouquin…

dimanche 1 juin 2008

L'authentique présent

Le Liban a de ces merveilles. De quoi vous garder émerveillée toute une vie. Je l’espère, j’en suis convaincue… En une semaine, une révélation et le renouvellement d’une révélation.

D’abord la « Rue de Damas » d’Antoine Boulad. J’ai longtemps hésité à l’acheter ce bouquin, mais bon, ce fut un coup de hasard. Déambulant à Hamra avant de déjeuner au Regusto, je m’achète de quoi lire entre deux bières. Et ce fut la « Rue de Damas », vu à travers le prisme d’un invétéré des méandres de cette rue, avant la guerre, durant la guerre et après la guerre…. Etrange de découvrir cette légendaire rue en pleine Hamra, alors que je suis toujours en train de découvrir cette autre plus légendaire rue qu’est Hamra, et qui, soit dit en passant, a vécu une mini-guerre des rues concentrée… Sur la devanture d’un magasin il y avait des traces de balles éclatées sur les vitres… ça m’a pris du temps pour déceler, en pleine foule, l’origine de ces déformations… Amnésie quand tu nous tiens ! Enfin, l’amnésie se reconstitue rapidement. L’envie de partir à la recherche de ces fragments qui appartiennent à chaque individu à part entière, qui appartiennent à la race libanaise toute entière. «J’aurai néanmoins appris à décliner la mort à tous les temps, sans l’apprivoiser».

Ensuite direction le T-Marbouta pour un concert de Ziyad Sahhab et Shahhadeen ya Baladna. Plus le temps passe et plus je m’attache à cette musique, viscéralement. Même si on conteste l’utilisation du mot tarab, n’empêche que c’est le cas, de quoi vous laisser voguer sur les reflets d’une culture, la nôtre, toute en musique. Il y a une semaine, quand j’interviewais Charbel Rouhana, à l’occasion de la sortie de son dernier CD : Homemade (d’une pure beauté d’ailleurs, et pour ceux qui hésitent à découvrir sa musique, un conseil, n’hésitez pas à le faire, le voyage est plus que garanti, ça a été le cas pour moi) il m’a dit que peut-être la surprise dans son album, c’est qu’il renvoie l’auditeur à un univers qui lui est tellement familier, son propre inconscient collectif musical. Est-ce suffisant pour décrire la scène alternative libanaise ? C’est déjà un premier pas. Je pense que la force de notre musique et de nos artistes c’est précisément qu’elle réside dans cet ancrage, dans ce passé tourné vers l’avenir. Une scène qui puise dans ce qu’on a de plus beau pour le propulser vers de nouveaux horizons. Viscéral je vous dis, ça vient des entrailles, et ça y revient, ça vous prend aux tripes…en force. Au T-Marbouta, chaque coup de oud, de basse, de percussion, de qanoun me faisait tournoyer dans cet anachronisme étrange et sublime.





Beyrouth, la ville du rêve, la ville de la chair…

jeudi 22 mai 2008

Et après?

L’euphorie exubérante est tombée, s’est assagie, comme se sont assagis les Libanais depuis belle lurette. « Assagis » pour parler du Libanais !? Oui certes, ce n’est sûrement pas le qualificatif le plus adéquat pour décrire cette espèce humaine rare et exceptionnelle. En tout cas ces deux derniers termes sont ambigus en eux-mêmes : tout ce qu’il y a de plus péjoratif et tout ce que ça peut receler de positif et de beau. C’est le Liban et ce sont ses habitants, dans ses pourtours géographiques, ses 10 452 Km2, (d’ailleurs Nabih Berry l’a bien mentionné hier, même si ce petit espace conspire à séparer et diviser tous les Libanais…) et au-delà, aux quatre coins de la planète, cette fameuse diaspora libanaise.

Hier, longue halte nocturne au Biba, à Gemmayzé, pour savourer les notes orientales de Ziyad Sahhab et Ahmad el-Khatib. Avant, après et durant ces effluves musical(e)s enivrant(e)s, nous avons bien trouvé le temps de discuter des derniers développements sur la scène politique locale. C’est étrange, cette fois, il n’y avait pas de cris, de discussions vives et animées, des personnes qui haussent la voix (c’est la logique, plus tu cries, plus tu as raison ou tu donnes l’impression d’avoir raison, la voix haute porte et l’emporte). Enfin, même si nous sommes tous plus ou moins du même bord, du même camp, celui de la neutralité modérée, mais à tendance quand même, je l’avoue…) nous reproduisons un peu le même schéma que nos politicards. D’accord nous acceptons le compromis, « nous acceptons de faire des concessions, tant que la lutte se poursuit, tant que le combat pour la liberté, l’indépendance et la totale souveraineté de l’Etat se poursuit… » me dit une de mes amies, militante acharnée. Sinon ce sera direction Amsterdam.

C’est étrange, « la télé réalité règne sur nos vies » me fait remarquer un ami quand je lui racontais les menus détails de cette fameuse journée historique, et la manière dont tous les développements ont été retransmis par nos chaînes de télévision locales. Des séquences qui se suivaient entre Doha et les réactions des politicards (les mêmes têtes qui ont signé l’accord), le centre ville et les tentes qu’on démontait, les citoyens et les commerçants qui se félicitaient, le palais de Baabda et le gazon qu’on tondait, Ammchit et les citoyens qui célébraient l’avènement de Michel Sleiman, le Parlement à la place de l’Etoile et les problèmes logistiques et techniques à résoudre pour tenir le scrutin présidentiel le plus rapidement possible… Que du bonheur tout ça… Le sang est vite oublié…
Toujours au Biba, une amie française résidant au Liban m’appelle pour me demander si je suis contente que la situation se décante (oui mais faut comprendre que parfois on me prend pour une « nationaliste »… acharnée en plus). Toutes les conversations téléphoniques en ce jour de gloire bénie, (qui entrera dans nos livres d’histoire, si jamais on parvient à en établir un) commençaient par l’immanquable « Mabrouk ». De quoi vous arracher des sourires amusés !

Alors ce soir j’hésite quant à la photo à mettre pour accompagner cette petite note.
Entre un cliché de Ziyad Sahhab au Biba et une ancienne photo de la guerre du Liban, celle de 1975… j’hésite…
Mais j’ai trouvé un compromis...


Et après? La vie continue, non... De compromis en compromis...

mercredi 21 mai 2008

Jour J


Ils défilent un à un. Chacun y va de son mot. Des congratulations à la pelle. Des embrassades sans embarras. Il est beau l’esprit libanais, vous ne croyez pas. Les mots défilent : compromis, exploit, cohabitation, entente, douleur profonde, nouvelle page, sacrifice, Etat, institutions, décision de paix ou de guerre…
Le Centre-ville grouille de citoyens, de journalistes libanais et étrangers… Tous attendent la levée du sit-in de l’opposition.
A Baabda, c’est la ruche et la cruche… le gazon croule sous les tondeuses, la poussière s’évapore d’un coup de main, les rêves se bâtissent autour de celui qui va devenir le 12ème président de la République libanaise… Le palais de Baabda ne sera plus une bâtisse fantôme…

En moins de 24 heures, tout rentrera dans l’ordre…On applaudit, on applaudit. Vous entendez déjà les youyous des femmes, voilées, dévoilées… les feux d’artifice, les foules qui vont se ruer au centre de Beyrouth pour se régaler, se gargariser. Et sourire, les sourires ne veulent plus quitter les visages, ils sont collés, incrustés… ils défient toute logique, tout espoir… Ils sont là, bien voyants. Les dents grincent… de joie, de peur, de crainte, d’appréhension… Oui, mais il faut bien espérer un peu. Nous sommes tous conscients que cette entente ne va pas être de longue durée, que ce n’est qu’un répit pour éviter la guerre civile qui a failli nous emporter une deuxième fois.

Maria Chakhtoura - Beyrouth - 1984


Alors oui sourire, malgré soi. Ce n’est pas grave, on peut se le permettre, on a le droit de se le permettre. L’obligation de le faire, au moins pour un seul jour.
Le pire est peut-être à venir, mais pas dans l’immédiat. Pas aujourd’hui. Et c’est déjà ça. Aujourd’hui on célèbre un énième accord pour sauver le Liban : celui de Doha.
Des congratulations pour la connerie ?

jeudi 15 mai 2008

La foi(s) de trop


J’ai baissé les bras. Trop rapidement cette fois. Il a fallu 2 jours pour que je succombe. Cette fois, c’était la fois de trop, celle qu’il ne fallait pas tenter, à moins de tenter le diable… et on l’a tenté.
Jusqu’à dimanche, j’ai pu préserver mon sang-froid, et même plaisanter sur la situation. Après tout, c’est ça le fort du Libanais, comme on dit et comme me le rappelait il y a deux jours un de mes amis : on trouve toujours des blagues à raconter sur les pires choses qui secouent notre pays, depuis des années. Mais cette fois, je n’ai pas souri, je n’ai pas pu sourire. Cette fois c’est plus fort que moi. Cette fois c’est différent, car ça ressemble trop au passé d’il y a 30 ans. Ce passé que j’avais cru vraiment révolu, même si je m’échinais à dire qu’on plongeait la tête dedans et que je m’amusais à dire à mes amis étrangers que quand la guerre éclaterait, on serait face à deux choix : soit partir, soit prendre les armes, en ajoutant tout de suite après que moi je ne quitterai jamais mon pays… Je pense que je le disais juste pour extérioriser cette peur, cette crainte de replonger.

Je suis plus forte que ça, en général. Et beaucoup plus exubérante. Aucun de mes amis ne me reconnaît, je suis sur le point de me disputer avec tous, je ne parle presque à personne, emmurée dans mes pensées, dans mon silence craintif, dans la déprime et dans le sommeil.
Pourtant j’ai eu un sourire, une fois, un sourire fugace, qui a duré quelques minutes : le temps d’apercevoir sur quelques rares balcons beyrouthins le drapeau libanais. Certains de ces drapeaux étaient encore tout flamboyants, tout neufs, récemment posés là. En les voyant, mon cœur s’est presque arrêté de battre : est-il possible qu’il y ait encore des Libanais qui croient en leur Liban ? Des Libanais pour qui ce fameux drapeau tricolore a un sens ? Et je me suis longuement arrêtée devant ces balcons, essayant de deviner d’après la couleur du tissu, quand est-ce qu’ils ont été brandis ? Quand ? Ces derniers jours ? Avant ? Et si le drapeau libanais renvoyait à un camp politique ? Y a-t-il encore des personnes au Liban qui ne sont pas partisanes, ou qui n’exècrent pas tous les politiciens, au risque d’exécrer leur pays ?
Oui c’est facile de critiquer les politiciens, d’affirmer haut et fort qu’ils aillent tous au diable et qu’ils laissent ce pays tranquille. Oui, qu’ils aillent tous au diable, mais ce pays ne sera jamais tranquille. Aujourd’hui j’en suis convaincue. Quoique je le savais depuis longtemps, mais je trouvais toujours de l’espoir quelque part : dans une simple balade à Hamra, à Gemmayzé, à contempler les quelques anciennes maisons qui sont encore debout, dans un simple verre pris au Torino, ou au Nekatr, dans les rêves habillés du souffle frais de la Méditerranée à la Corniche, dans le vent printanier à Achrafieh qui a failli me faire chavirer, vu mon poids plume… Dans ma façon de conduire, que je tiens à garder civilisée, par rapport aux chauffards de mon pays, à cette horde d’hippopotames que constitue la file de voitures. Mais aussi et surtout dans ma volonté de soutenir le concept d’Etat dans un pays où l’Etat peine à exister au détriment des intérêts partisans et individuels. Un ami Français me taquinait en me disant que j’étais la seule Libanaise qui soutient son Etat, qui croit que dans son Etat il y a des citoyens qui placent bien haut l’intérêt de leur pays, des citoyens qui ne volent pas, qui ne trichent pas, qui n’avalent pas leur Etat au dépens de la partie qui les a installé à leur poste. Je m’échinais à lui expliquer que si une grande partie des fonctionnaires, tous postes confondus, sont des voleurs, des opportunistes, des voyous… il y a encore quelques exceptions, peut-être rares mais il y a des exceptions (exception qui devrait pourtant être la règle). Je ne sais pas si je l’ai convaincu, mais du moins il m’a écouté jusqu’au bout.

Mais à quoi cela sert de penser de cette manière, d’espérer en mon Liban en dehors de tout raisonnement politique, si même ces valeurs sociales restent à un niveau individuel ? Si elles ne se propagent pas et ne se généralisent pas ? Mais pour cela, il faudrait un Etat fort me dit tout le temps un ami. Donc cercle vicieux ! Ne peut-on pas appliquer ces valeurs sociales sans la crainte d’une répréhension étatique ? Il me donne comme exemple une dizaine de pays civilisés où la loi est respectée par crainte du prix à payer en infraction. Je m’insurge : soyons pour une fois plus forts que ces pays au niveau humain. C’est cela aussi le fort du Libanais : son humanité, inhumaine souvent, peureuse et lâche des fois, égoïste surtout, mais humaine dans tout le sens du mot. Maintenant j’en suis convaincue. Pour en revenir à cet ami Français qui a passé un séjour de deux ans au Liban et qui y a vécu entre autres évènements la guerre de juillet 2006, il me disait qu’au Liban on apprend ce qu’est l’humanité, l’humanité revêt tout son sens dans ce pays meurtri. Je n’ai pas honte de mon humanité inhumaine.

Faut-il à chaque fois le regard d’un « étranger » pour nous pousser à voir, à espérer…
Merci à Nat et David pour leur blog chroniques beyrouthines
Merci à Wil pour son window in lebanon

Rien que pour pouvoir inculquer ces valeurs à de nouveaux citoyens de mon pays, aujourd’hui, j’ai envie d’avoir des enfants.

Gabriele Basilico - Beyrouth - 1991

dimanche 11 mai 2008

Le Rap Libanais

Le rap libanais
Vox populi à double tranchant


Le hip-hop s'ancre de plus en plus sur la scène musicale libanaise. Novateurs, contestataires, engagés, poètes chanteurs et compositeurs, les rappeurs libanais dressent le portrait d'une société qui semble aller à sa perte. Mais dans cette troupe de moutons de Panurge, le rap libanais se présente et s'assume comme la brebis galeuse, pleine de révolte et d'espoir. Magazine a effectué un tour d'horizon des figures les plus connues du rap libanais, et surtout de leurs contestations. Tous portent la voix du peuple, malgré leurs différences.


A chaque événement au Liban, une phrase revient comme un leitmotiv dans l'esprit: «Le 14 février sera notre 11 septembre». L'été dernier, décembre 2006, janvier 2007, mai 2007... La voix de Rayess Bek s'égosille: «J'en ai marre de voir ma ville entre l'Irak et la Palestine... Loubnen houweh helem, wou nehna 3aychine bi kabouss, (le Liban est un rêve et nous vivons dans un cauchemar)».
Dur à entendre. Mais tellement vrai, rien n'a encore changé. Waël Kodeih s'est lancé dans le hip-hop dès 1997. D'abord, il a co-fondé avec Houssam Fathallah, aka Eben Foulen, Aks'ser, l'un des premiers groupes de rap libanais (auquel s'est joint plus tard Tarek Yamani), aux contestations sociales, drôles et percutantes à la fois. Ensuite, à partir de 2003, Rayess Bek se lance à fond dans une voie plus engagée, en carrière solo. Sur ses albums, un «micro-fared» (micro-revolver), car, comme il l'explique à Magazine, «les mots sont des armes et la prose assassine, munis d'un gun microphone... les militaires n'ont qu'à bien se tenir».
Les jeunes rappeurs libanais ne mâchent pas leurs mots. A travers leur micro-fared, ils crachent la vérité, nue et percutante, «trop crue, trop noire, limite répulsive». Avec ces quelques mots, Rayess Bek définit ses chansons. Celles que nous exultons en entendant, qui extériorisent toutes nos pulsions et réflexions, longtemps tenues prisonnières.

«Pas vraiment d'ici ou d'ailleurs»
La génération rap au Liban a connu les atrocités d'une guerre civile de 15 ans, dont les conséquences font toujours partie du quotidien, alors que la région s'effondre face à l'injustice et le laisser-faire internationaux qui cautionnent la mort et la destruction, au nom de la démocratie et de la lutte contre le terrorisme. Les rappeurs libanais cherchent, donc, à combattre cette image, à montrer l'envers de la médaille, de diverses manières, à montrer «qu'il y a une belle rue à Beyrouth, avec sa cruauté et ses problèmes». MC6K de Kita3 Beirut, l'autre grand groupe de rap libanais, explique que «cette rue a vécu la guerre, ça fait partie de notre histoire, mais ce n'est pas 24h sur 24. Il faut sortir de cette idée, on en a marre. Toute l'image qu'on veut voir de nous, c'est la guerre. Et ça, c'est flagrant, alors que nous, nous travaillons à l'encontre de ça».
Kita3 Beirut c'est «la voix rap du peuple libanais», dit 6K. Le groupe est né d'une idée phare: rassembler Beyrouth. De 1995 jusqu'à 2000, Kita3 Beirut avait déjà ses 6 membres fondateurs (Banalis, Weldo, Billy Boy, TMC, RGB et 6K) suivis d'une foule d'autres personnes: d'autres MC's, Masters of ceremony, à l'instar de Joker et Stress (qui ont fondé ultérieurement Kita3youn, diminutif de Kita3), des break-dancers, des skaters, des DJ... Tout ce monde qui fait partie de l'art de la rue solidaire et gaie, et qui a eu l'occasion de se produire, il y a quelques mois, dans le spectacle Cha3er bil Chare3 (Poète dans la rue), au CCF. En 2001, la chance frappe à leur porte. Les 6 membres de Kita3 Beirut s'embarquent en France, pour une série de concerts. Et ils décident d'y rester. Le premier à rentrer est 6K, suivi plus tard de RGB, en 2005. Des expériences plein la tête, avec «la galère vécue dans les rues underground françaises, où la scène hip-hop est très forte», mais aussi un beat box à l'harmonica, et surtout «l'idée d'un solo», comme l'explique 6K. RGB, dès son retour, chante Thaoura (Rébellion): «Mich mouhem ennak tkoun bi mouzahara wouh é3tisam, ahsan lak tchil men rassak fikrit el inti'am (L'essentiel n'est pas de participer à une manifestation, il vaut mieux oublier l'idée de la vengeance)».
RGB s'est uni à Rayess Bek, sur scène, lors de la deuxième commémoration du 14 mars, pour chanter précisément leur unité, un message haut et fort, à qui veut l'entendre! Les rappeurs libanais ne baissent pas les bras. A l'unisson, ils promettent de ne jamais lâcher leur microphone, de crier toujours à la face du monde leurs espoirs, leurs rêves, la voix(e) de la tolérance. «El rap el libnani ma bisisr fi darb ewass (dans le rap libanais, il n'y a pas un seul coup de fusil)», chante RGB, derrière le petit comptoir du Torino Express, rue Gouraud, à Gemmayzé.
Les paroles sont à double tranchant: elles sont nées d'une jeunesse meurtrie, ayant grandi dans des abris et que les grands tentent d'éloigner de la scène. Et elles s'adressent aux jeunes qui se laissent faire, au risque de se laisser entraîner dans une récidive et devenir, à l'instar de leurs parents, acteurs d'un deuxième conflit inter-libanais.
Pour ne pas répéter les erreurs du passé, Rayess Bek a des mots durs, des mots choc, qui peuvent déranger plus d'un, mais réveiller d'autres, pour «ne pas perdre espoir. Pour rêver!... S'ouvrir l'esprit, s'écouter les uns les autres. Mettre la faute sur soi avant de la jeter sur les autres. Savoir et comprendre pourquoi papa a fait la guerre dans les années 80. Se demander si papa avait raison et réaliser que papa est peut-être un c..! Et accepter ce fait. Et essayer de réparer la connerie de papa, si elle est réparable!».
Tolérance et ouverture, espoir et réflexion individuelle, loin des sentiers tout tracés, qui ont prouvé leur inefficacité à rassembler... des idéaux de plus en plus bafoués au Liban. Rayess Bek, cette année, semble avoir changé. Le ton est devenu beaucoup plus dur, le regard plus perçant. Et pour cause: juillet 2006 fut. Waël a pris le large, en France, un départ qui «est relié à la saturation collective du peuple libanais. Je suis parti, car je me suis senti presque chassé de mon pays... On ne veut pas de gens modérés dans ce pays, on ne veut pas de gens réfléchis». La colère métamorphose, elle devient encore plus nécessaire. Waël ressent ce besoin d'écrire plus que jamais: «J'ai tant de choses à dire, explique-t-il. C'est comme une psychanalyse».



Le massacre de Cana
«Le bien et le mal justifient-t-ils les atrocités commises au Moyen-Orient?», clame Rayess Bek, dans Salam et génocides, une de ses dernières chansons disponibles sur son site Internet: myspace.com/rayessbek. Point culminant: le massacre de Cana, qui marque une nouvelle page dans le rap libanais. Symbolique d'une barbarie injuste à l'encontre des peuples arabes, mis dans un seul et même bloc, de fanatisme et de terrorisme, sans distinction et sans discernement. «Pourtant, je suis musulman», martèle Rayess Bek.
Pour Joker et 6K, le rap c'est tout simplement leur vie. «On parle du social, du chômage, des problèmes quotidiens, de la vie, du hip-hop, de notre vie, de ce qui se passe avec nous... Au lieu d'extérioriser ça sous forme de violence, on préfère écrire... chacun son style». «Il ne faut pas s'arrêter ici, même si ça bloque», chante 6K qui explique que Kita3 Beirut a toujours beaucoup de problèmes. RGB, lui, a collaboré avec Ramallah Underground, un groupe de rap palestinien, de loin, par le biais du mixage et montage du DJ Lethal Skillz, vu qu'une frontière infranchissable sépare les deux pays.
Depuis ses débuts, au milieu des années 90, le rap libanais s'évertue à critiquer les vicissitudes de la société libanaise, calfeutrée dans son petit cocon, de peindre ces petits détails qui laissent un sourire narquois au creux des lèvres et une forte répulsion dans le ventre. Il suffit de déguster le répertoire de Aks'ser... Au hasard: «Zadet al 3aj2a 3al msalbié, akid fi boliss seir (Davantage d'embouteillage au rond-point, il y a sûrement un agent de circulation)».
Le Liban, début 2005, a connu une série de bouleversements sanglants qui ne semblent pas près de prendre fin et qui embrasent encore plus toute la région. Ce qui pousse les deux membres d'Ashekman à lancer cette question à la gueule du monde: «Wein wassel el moujtama3... Moujtama3 'enbleh... Fi hareb aalamiyeh ballachit bi tna3ch tammouz (Jusqu'où va la société... la société est une bombe... Il y a une guerre mondiale qui a débuté le 12 juillet)».
Les rappeurs libanais ne se reconnaissent dans aucun parti; ils représentent cette jeunesse qui a comme seul parti pris sa libanité. Mohammad et Omar Kabbani, alias respectivement Mejrim Kalém et Carbon, affirment haut et fort ce credo: «100% libanais/arabe». Une vision et une identité mal assimilées, et rapidement assimilées au bruit des fusils et des bombes. Message reçu dans leur chanson Phobia min el arabia: «Chaabi manou barbari. Mich mafroud koun marfoud (Mon peuple n'est pas barbare, nous ne sommes pas censés être rejetés)».
Une chanson à laquelle a collaboré Clotaire K qui, en France, défie cette situation, par sa musique. Français, de mère libanaise et de père égyptien, Clotaire K a baptisé son album Lebanese, frappé d'un cèdre rouge couleur sang. Il explique qu'il a choisi ce titre «pour mettre en avant cette identité, parce que je me sens libanais tout autant que français. Mais aussi parce que ce n'est pas facile de grandir dans les ghettos d'un pays où tu es considéré comme arabe, avec tout ce que cela pouvait comporter de péjoratif. Et lorsque tu prends conscience de ta culture d'origine et de sa richesse, tu peux, comme moi, non seulement ne pas en avoir honte, mais en être fier». Et pour preuve, Clotaire K sent qu'il est de son «devoir de contrebalancer la fausse image (de destruction et de guerre) du Liban».

Poésie et combat des mots
Et si, un jour, on oublie la beauté même de notre pays ou de sa musique, un voyage devient nécessaire dans le monde de Clotaire K. S'il affirme que son album «s'adresse en premier aux Libanais de l'étranger, pour leur rappeler leur réelle identité», Lebanese s'adresse autant aux Libanais vivant au Liban, pour leur remémorer, quand ils l'oublient, qu'être libanais c'est avant tout «avoir des facilités à gérer une multi-culture et à s'adapter à divers environnements... à ne pas avoir peur de l'Autre». Dans son album, s'entremêlent les souvenirs du pays, des enregistrements des bruits de Beyrouth... Un parfum d'Orient envoûtant, à savourer par bribes sur son site www.clotairek.com, et que même la période grise que traverse le pays ne saura évincer. Clotaire K affirme «sa foi dans le bon sens des Libanais pour éviter le piège du passé».
Ayman, lui, est canadien, de père libanais et de mère tunisienne. Il a très rarement mis les pieds au Liban, mais en juillet 2006, il s'est retrouvé pris au piège de l'agression israélienne. Ses origines ont pris le dessus. Son microphone, généralement plus léger, a choisi le militantisme des mots. «Même si cette fois les deux parties crient victory, faudra que l'on se méfie de tous ces jeunes qu'on a trahis...», rappe-t-il. La chanson intitulée Galère de guerre est un «hommage aux enfants qui ne devraient pas subir les absurdités de vieux dirigeants séniles», qui ne devraient pas subir les atrocités de cette «guerre contrôlée par les Etats-Unis pour irakiser la Terre».
Un même message unit tous ces rappeurs libanais de par le monde: en France, au Canada, aux Etats-Unis et au Liban... Un message d'unité, sans parti pris, sans division communautaire, raciale, ethnique, confessionnelle... Pour rassembler les jeunes, peu importe leurs différences, leur nationalité, leur confession... Français, Libanais, Américains, Israéliens, Palestiniens... Chiites, chrétiens, druzes ou sunnites...
Mais au-delà du message contestataire qu'ils véhiculent, tous ont la musique dans la peau, la perfection et l'acuité du son, le lien tacite entre le public et la scène. Place au rap, rythm'n poetry ou rage against the police ou, plutôt, contre le système Qu'importe... Pour les rappeurs libanais, l'essentiel est de «kiffer»...
Les mots s'égrènent. Criés, dansés, au rythme d'un beat immédiat qui se ressent d'un coup. Car les chanteurs de hip-hop cherchent, avant tout, à faire bouger une foule, souvent timide au Liban. Rythmes orientaux, électroniques, instruments de tous bords, samples mixés, effets de sons, jeux de mots en argot libanais, multilinguisme à l'image de la société libanaise, slam et collaboration d'artistes internationaux... Les rappeurs cherchent, surtout, à sortir la musique libanaise de son carcan trop commercial, des niaiseries qui émaillent la pop locale. Mais aussi à redorer l'image du rap, parce qu'il s'assume comme tel. Selon Rayess Bek, «la perception du rap est défigurée, à cause des firmes multinationales et des médias... On a voulu faire taire le rap véritable, engagé, celui qui représentait un danger, un moyen d'expression; alors, on l'a englouti dans la drogue, les armes et les prostituées... Mais le vrai rap n'est pas mort, les gens trouveront toujours un moyen de s'exprimer».
Dans toutes les régions libanaises, et à Beyrouth, d'autres groupes sont en train de se développer, à l'instar de Khat Ahmar, Ramsès... encouragés par les pionniers qui ont pavé la voie et qui galèrent toujours pour surmonter les obstacles. Et ils sont tellement nombreux, dans un pays où, souvent, voire toujours, l'art vient en second plan. Des problèmes de financement au manque de boîtes de production (la majorité de ces artistes s'auto-produisent), de l'insuffisance des salles de concert à la censure (Voir encadré), jusqu'au désintérêt d'un public libanais, trop occupé par le frou-frou de l'amnésie et de l'insouciance et qui rechigne, de prime abord, à écouter le Libanais underground, qui le pousse à réfléchir... Avant-goût d'une génération de rap libanais qu'il est presque impossible de contenir, avec toute sa richesse et sa sensibilité, ses subtilités et ses mots choc qui passent, tels des fusées, aux rythmes du hip-hop fusionnant Orient et Occident...


Petit lexique du rap
* Le slam est une sorte de rap a capella, plus proche de la poésie que du rap, et originellement issu du jazz. Rayess Bek l'explique comme étant «les textes de vrai rap mais qui ne sont pas rappés, et sans musique».
* Le MC, (Master of ceremony, maître de cérémonie) désigne, généralement, celui qui anime les soirées. A ses débuts, le MC supportait juste le DJ, mais peu à peu, le terme finit par désigner le rappeur dans la culture hip-hop.
* Le beat box consiste communément à imiter un instrument de musique, plus généralement une batterie ou des instruments de percussion. Le plus souvent, on pratique le «human beat box» ou l'imitation vocale d'une boîte à rythmes.
* Les samples, comme leur nom l'indique, sont des échantillons musicaux ou des sons divers, enregistrés dans n'importe quel contexte et intégrés à la chanson, pour créer une nouvelle composition musicale.


Via la censure
Un autre grand problème au Liban, c'est évidemment la censure et les sujets tabous: Sûreté générale, médias, organisateurs de concert, religion, politique, société et mentalité libanaises... Tout peut justifier la censure. Alors, recours aux subterfuges et à l'autocensure. 6K explique que Kita3 Beirut, par opposition aux autres groupes de rap, s'est imposé des sujets tabous: religion, politique, communautarisme et absence d'insultes, «pour ne pas choquer, tout en restant underground». Mais dans six mois environ, il faudra confronter la censure de la Sûreté générale pour la sortie du premier album de RGB. Le style hardcore et agressif d'Ashekman lui a valu d'être censuré quatre fois sur scène et de voir son album rejeté à deux reprises par la Sûreté générale, parce que «les gens ont tendance à croire que les insultes passent plus facilement en français et en anglais qu'en arabe». Alors, pour pouvoir franchir la censure, ils ont parfois recours «au verlan (syllabes inversées) ou à la raison, en avançant des antécédents, comme les albums de Aks'ser. Ce groupe a sorti le premier album de rap libanais en 2001 et le troisième en 2006, avec «une approche douce et réfléchie», selon Rayess Bek, et «qui a permis d'introduire le hip-hop dans les pays arabes, en passant par la musique pop arabe classique», vidéo-clip à l'appui pour prendre le public à son propre piège en dénonçant la vulgarisation commerciale de la musique


Nayla Rached


Article publié dans L'Hebdo Magazine #2592 -13 Juillet 07

Torino Express


Torino Express

Un nouveau mythe beyrouthin

Gemmayzé grouille. Gemmayzé marque la cadence d’une ville. Elle avance, recule, se fige, s’invente et se réinvente, à chaque fois. Au sein de cette bombance mouvante, le Torino Express déraille.

La vigie scrute l’horizon, un regard perçant, un sourire figé. La souveraine des lieux, à l’insu de tous. Belle hôtesse de l’air qui fut peut-être un temps la muse hantant cet étroit repère des souvenirs, ou une fameuse poétesse, ou même Jackie, comme certains l’appellent.
Au Torino Express, les clients la saluent, profondément. Gardienne du temple, elle ramène l’effluve de ce qui a été, à Beyrouth et ailleurs. Entre-temps, la vie se poursuit et s’agrémente de couleurs chatoyantes et changeantes. 12, rue Gouraud : les habitués et les nouveaux visages, les beyrouthins et les résidents étrangers s’y retrouvent tous les soirs, ou presque.
Déambulations au cœur d’une « Rue à caractère traditionnel », la seule qui reste d’ailleurs dans la capitale libanaise. Longue allée qui ne pouvait qu’être le troisième lieu nocturne après Monnot et le centre-ville, « le prochain voisinage à conquérir. C’était l’idée la plus facile ». Andréas, le propriétaire du Torino Express, se rappelle l’ouverture de son petit pub, il y a environ trois ans. Pionnier parmi les pionniers de cette effervescence nocturne, qui a prouvé au fil des mois, sa justesse. Dès le premier jour, le bar fait salle comble. De bouche à oreille, le hasard d’une randonnée nocturne transpose l’ambiance du Torino Express. Un nom sans frou-frou qui va comme un gant, « a name that just fits », selon Andréas. L’origine se perd quelque part entre histoire vraie et inventée, entre des villes européennes, un train, une machine à café et une nuit d’amour… Il est plus connu sous la seule désignation de Torino. Et d’autres noms aussi, pour des cercles plus intimes.

Une habitude pas comme les autres
De jour comme de nuit, les anciennes demeures protègent leurs histoires, les suggèrent, pour mieux les dévoiler, les réinventer. Une sensation étrange qui vous empoigne au Torino. Une composition en arcade, et une couleur neutre, du beige usité qui garde les séquelles du temps, la rouillure naturelle qui ne s’imite pas, les traces de cigarettes sur les murs. Reste le rouge écarlate, les phonèmes étincelants qui captent le regard, à la porte du Torino, une vitrine qui donne sur la rue grouillante. Un sigle lumineux, une typographie des années 50, 60, qui se lit sur les visages, les verres, le bar, qui se répercute partout où se pose le regard, sur le miroir du fond, dès l’entrée.
Bienvenue à bord du Torino Express, le train s’élance, le trajet est long, et l’alcool coule à flots. Les borborygmes emplissent l’air, épousent la musique, électronique souvent, d’autres fois une combinaison de plusieurs styles. Les gens sont debout, contents d’être debout malgré tout. Dans un couloir, un « tunnel » plutôt, comme le décrit si bien Andréas, les luminaires accrochés aux murs diffusent cette lumière blafarde d’espaces de passage, faits pour rester. Et transiter des histoires. Plusieurs ou une seule, qu’importe, une exhalaison, une âme seulement, peut-être.
La rue Gouraud, 19.., un photographe est en concurrence avec les autres photographes de ce quartier, deux autres. Il a choisi cet endroit comme on choisit d’autres dans ce secteur, il s’est installé, a encadré des visages, a immortalisé d’autres. Et sa famille est devenue immortelle, sur les murs du Torino. Histoire des temps anciens qui s’amplifie au fil des rumeurs ! Sur un pan du mur, d’anciens portraits en noir et blanc sont accrochés. « Il suffit de regarder, ils se ressemblent tous, ils ont le même front large. Je suppose qu’ils sont de la même famille, probablement celle du photographe qui habitait ce lieu. En tout cas, ils appartiennent à cet endroit, je les ai gardés là, ils sont son âme ». Ces cadres, Andréas les a récupérés dans cet antre, il y a environ 4 ans. C’était devenu un simple dépôt, avec une mezzanine, où s’accumulaient quantité d’objets, parmi eux ces photographies. Maintenant une autre famille l’habite. Celle du Torino. La clientèle, les DJ d’un soir parmi les habitués, les bartenders, et à l’autre bout du bar, Andréas.
Mais la particularité du Torino apparaît durant le jour. C’est aussi un café, de jour, un « coffee shop ». Voici finalement le concept européen introduit par Andréas : un café bar. Le jour, la vie et la ville se boivent différemment, chaque bruit a une consonance particulière, la vapeur de la machine à espresso, le bruit de la cuillère qu’on agite dans la tasse de café, ou de thé… les discussions à demi-mot… Prélude à une soirée, pause diurne avant de reprendre la vie. Une halte, en attendant… « C’était un remède durant la guerre de juillet », de rester ouvert « au-delà du dilemme moral »… Les journalistes étaient là, en attendant de reprendre le chemin de la banlieue sud, l’adieu, en attendant que sa petite amie soit rapatriée, la vie, en attendant, pouvoir continuer à payer le loyer…Il y a environ cent ans, c’était là qu’on déposait les bananes vertes, en attendant qu’elles mûrissent.
Les récentes photos accrochées par Andréas sont juxtaposées aux anciens cadres sur un pan de mur. Pour être récupérées à leur tour, peut-être, un jour… dans cent ans !


Nayla Rached

Article publié dans L’Agenda Culturel # 291 – 24 Janvier 2007

mercredi 7 mai 2008

Le cauchemar Beyrouthin


Mercredi 7 Mai:

Ceci n'est pas un billet pathétique. Mais un billet libanais, bien libanais.

Je suis actuellement à la maison. Et comme tout bon Libanais, évidemment, en ce jour de grève noirâtre, la télé est allumée, et je zappe chaque quelques minutes, en essayant de trouver la dernière info sur le terrain. Mais, comme d'habitude, les télés locales nous servent leur sauce habituelle: des talk-shows à en mourir de rire et de frustration. A la fin, et c'est une évidence, on n'écoute même plus, (ça c'est si déjà on écoutait avant, mais c'est surtout pour les flashs info urgents: d'ailleurs une petite parenthèse: la VDL devrait arrêter ces petites pubs qu'elle lance chaque 30 minutes, le fameux "maktab el-ta7rir", mais c'est pas dans un khabar jadid, c'est juste une pub pour le "khabar sari3" sur msn ou msg, je ne sais pas).

Enfin, bref, on se pose des questions, mais on n'attend pas de réponses. Personnellement je m'attends à une sorte d'apocalypse demain matin... Au réveil, je sens que ça va être bon. Vous vous rappelez, juillet 2006... Oui, je sens qu'on n'est pas très loin de ça... A moins que Sayyed Nasrallah ne nous réserve cette apocalypse pour après son discours. Et soit dit en passant, en plus des émeutes, des pneus brûlés, des routes coupées (ce soir, pour la 1ère fois de ma vie, j'ai pris l'autoroute en sens inverse, toute l'autoroute... mais les flashers étaient allumés!... On ne sait jamais, faut prévenir les citoyens si on veut rentrer chez nous... pour éviter les accidents quoi!). Donc je disais en plus de tout ça, on a peur des tirs de joie, vu que en principe, le numéro 2 de l'Etat était censé montrer son joli mignon à la nation et nous balancer ses blagues habituelles, et ses jeux de mots en dialecte arabe (tellement difficiles à traduire d'ailleurs...). Et demain faut penser à se couvrir pour le discours du sayyed...

Enfin, je me demande si ces 300 iraniens qui ont débarqué à l'aéroport international Rafic Hariri vont assister à la conférence de presse que je dois couvrir demain pour... tenez-vous bien... le lancementdu festival de Beiteddine... Hahahahaha... C'est dramatique tout ça... Encore un été de perdu... à moins que les artistes étrangers veuillent bien atterrir à un aéroport plus modeste, vous l'avez deviné... celui de Koleyat, qui sera prêt sous 24 heures....

Et dire que j’étais supposée interviewer demain Bernard Lavilliers… Quand on m’a prévenue de cette mauvaise nouvelle… eh bien, je me suis excusée, auprès d’une libanaise en plus, et j’ai balbutié un truc comme « ce pays est absurde »… Absurde, non ???
Enfin, je me rappelle d’un truc qu’on m’a dit une fois : « Au Liban, on ne fait pas de plan, on réagit »…


Jeudi 8 Mai :

Beyrouth est sur le fil du rasoir…
Ce soir, je n’ai pas du tout envie de plaisanter… Les boums emplissent l’air de ma capitale et pullulent la connerie. La GUERRE CIVILE… On est tout près, on y est… Ils n’hésitent plus à le dire… Mais au moins une bonne choses, ils ont décidé d’ouvrir leurs yeux et de voir finalement ce qu’on vit depuis longtemps… la GUERRE CIVILE…
De tous les côtés, on espère que ça ne va pas durer… à part quelques imbéciles, qui hélas sont quand même très nombreux, personne n’en veut de cette guerre… Mais eux ils la veulent…Et nous on la fait.
C’est vrai, tiens, d’un coup, je mets trop de points de suspension. C’est l’incertitude je pense.

Vendredi 9 Mai :

Ça ne l’est plus. Les dés sont jetés. Le coup d’Etat est bien là, en bonne et due forme. Nous entre temps, on attend. Le même scénario se répète depuis des années. Je ne vais pas dire depuis plus de 30 ans, j’étais très jeune à l’époque. Mais pour mes parents, c’est effectivement depuis plus de 30 ans, plus même. Ils attendent que… Moi, je vois les choses différemment, ou plutôt je compte les choses différemment. En temps suspendu : 7arb al-ta7rir, 7arb el-elgha2 (je n’arrive jamais à la traduire exactement, et quelle que soit la traduction que je trouve, je ne la trouve jamais satisfaisante, c’était tellement différent), la guerre de juillet 2006, et maintenant le coup d’Etat, la guerre dans les rues et le blocus, ou les blocus…

« Le temps d’un coup d’Etat », le temps d’un verre… Et le temps de voir certaines rues de Beyrouth, qui jusque là sont épargnées du sang qui coule et des mitraillettes qui criblent, mais emplies de ces voyous qui rêvent de sang. C’est une idée qui m’obsède celle-là. J’en parle souvent ; au fait j’ai peur du désoeuvrement qui transforme les jeunes en voyous, en voyous armés. La guerre de 2006 l’a fait, et maintenant on est tout prêts. J’espère que les barbus hezbollahis ne vont pas penser à envahir Achrafieh. Car les « chabeb » des Forces libanaises n’accepteront pas de rester les bras croisés. Alors ce sera « aux abris ou aux armes ! » Et les tranchées…

On est vraiment perdus sur nos télés, à essayer de saisir et les évolutions sur le terrain et les discours politiques. Un passage est très fort : celui de Walid Joumblatt coincé dans sa maison à Clémenceau et qui affirme qu’il refuse de quitter Beyrouth, qu’il restera aux côtés des citoyens quel que soit la situation… Chapeau bas, Walid bek… un grand acteur certes, mais émouvant. Et les retombées de ces déclarations seront sûrement spectaculaires… Déjà c’est un leader du 14 mars menacé de mort depuis trois ans et maintenant encerclé par ses compatriotes du Hezb et d’Amal. Le 14 Mars la joue victime à merveille, il était temps. Saad Hariri est encerclé à Koraytem. Le Grand Sérail aussi avec le 1er ministre Fouad Siniora et plusieurs autres ministres, depuis plus d’une année en tout cas.

Quelques minutes et je reviens : j’attends la déclaration de l’Alliance du 14 Mars à l’issue de leur réunion urgente à Maarab.
Mais je suis sortie, c'est plus fort que moi. Dans le seul petit pub qui reste ouvert malgré tout, car on a bien besoin de souffler un peu, de respirer...


Samedi 10 Mai:

La Grande Muette aurait dû rester muette...
Dimanche 11 Mai:
Les mots n'ont plus aucun sens... Face à une telle absurdité.
Le cessz-le-feu vient d'être décrété à partir de 18h à Aley et ses environs... Dans quelques minutes tout est supposé rentrer dans l'ordre. Mais quel ordre?
Celui de l'émigration. Tout le monde veut quitter le Liban, et tout le monde a raison. Ce soir ça m'a giflé en pleine figure, j ai perdu mes mots et mes arguments. Mes concitoyens ont raison... La raison n'a plus raison d'être... Les barricades ont tout remplacé, les barrages pointent à chaque nouvel horizon. Les routes sont bloquées de partout, à l'intérieur d'une même région. La musique ne me console pas.
On est tous en train de baisser les armes... Pas les vraies, d'autres la brandissent bien haut...
J'ai peur... Depuis des années, je ne l'ai pas ressenti cette peur, mais maitenant elle m'empoigne. Je ne suis même plus en colère... ni frustrée... j'ai simplement peur... peur de perdre Beyrouth...