samedi 21 mars 2009

Le Liban en musique 3

Un bœuf tout en complicité


Soirée impromptue au Nova, à Sin el-Fil, même si pour la pure Beyrouthine que je suis « c’est quand même un peu loin », et c’est un peu trop jeunesse rock rebelle… Mais sur scène des musiciens que j’affectionne particulièrement, réminiscence d’une soirée estivale au T-Marbouta où les auditeurs ne se contenaient plus, réclamant encore plus. Sur la spacieuse estrade éclairée du Nova, entre les tableaux évoquant de lointains horizons et les tables de billard, les membres de FunJan Shai accordent leurs instruments pour une séquence de jazz funk et de rythmes latinos métissés. De son set de percussions, Khaled Yassine ressortait plus d’une multitude de sonorités, jonglant entre bongo, conga, djembé et autres caissons à résonance. Aussitôt Fouad Afra répondait en écho, en coup de baguettes sur les batteries et cymbales, alors que de son pied il marquait la cadence. Impossible de suivre des yeux la valse fulgurante et évanescente des mains de Tarek Yamani qui frôle les touches de son piano. Liberté et improvisations, que permettent le jeu solide et la structure de Jean Madani à la basse. Un bœuf entre de tels musiciens et la complicité gagne la salle.




Beyrouth gronde


Rendez-vous à l’Amadeus, à l’hôtel Mozart, à Hamra pour assister à un concert de live hip hop avec Fareek el-Atrach : c’est tout ce que disait l’affiche… intriguant… Le nom de Wolfgang Amadeus Mozart associé à du rap arabe… de quoi satisfaire une fan d’un genre qui se répand de plus en plus au Liban. « Jina ta na3ti el fan dafché, nous sommes là pour donner à l’art un coup de pouce »… les rappeurs Edouard Abbas et Nasr Shorbaji gueulent dans leur microphone épousant le fascinant « human beatbox » de Fayez Zouheiry et la basse de John Imad Nasr. Innovation libanaise, le oudiste Suleiman Zeidan émaille l’ensemble de notes orientales et se plaint d’une « nation devenue comme une porcherie ». Le rap, par définition, est engagé. Les fans ne cessaient d’affluer, la foule devenait de plus en plus compacte, juste le temps d’apercevoir Karine, une libano-suisse qui rappe en français, le temps de noter une date ; mercredi, ce sera le Torino Express, à Gemmayzé, réminiscence de deux mini-concerts de rap improvisés derrière le comptoir du pub, où Karine s’était emparée du microphone pour accompagner RGB et 6K, les deux membres du groupe Kitaa Beirut.




Musique en herbe


Debout, dans le froid, devant la lourde porte fermée du Basement. Pourtant le rendez-vous était bien fixé à 18h. Lubie des videurs, des propriétaires, des organisateurs…. la nuit garde toujours ses secrets. Et on affluait à Saïfi pour assister au « concert de musiques actuelles » organisé par Radio Liban 96.2 FM. 11 lauréats, donc 11 familles, des amis et des noctambules. Plein de noctambules, le Basement a accueilli cette nuit-là 900 personnes ! Alors que la fumée emplissait l’espace, la foule s’agglutinait, attendant surtout de voir le charismatique groupe « Mashrou’ Leila », qui a finalement remporté le prix du jury, donc un album sur le label Incognito. Une soirée de musique éclectique, entre rap, variété, rock, électronique, pop… anglais, français, arabe… chaque lauréat interprétant 3 à 4 de ses compositions ; un beau bouquet de jeunes musiciens en herbe, de ce que le Liban contient comme potentiel à exploiter… Un début chaotique tout en lenteur, mais au fil des heures, la scène bouillonnait, entrecoupée par la participation exceptionnelle de la rappeuse Malika auprès de Karimbo Zone Mixity Miracle Genius… En attendant que le public vote en ligne, sur le site www.96-2.com, muni d’un password disponible dans chaque compilation 96.2 FM, avant le 1er avril.

jeudi 29 janvier 2009

Forward Music


Les sons d’un Liban métissé

A Beyrouth, dans les cafés de Hamra ou de Gemmayzé, ils discutent et repensent la musique. A Beyrouth, la musique a une adresse principale : Forward Music. Tour d’horizon avec Ghazi Abdel Baki, le fondateur de ce label.


« World music from Lebanon » : mot d’ordre de Forward Music, le concept sur lequel repose le label. Cette dualité n’est que le reflet de notre particularité libanaise ; le métissage entre l’Orient et l’Occident, tellement trituré, mais outrageusement vivant, perceptible dans chaque détail de notre quotidien. Ghazi Abdel Baki, le fondateur de Forward Music, ne cesse de l’affirmer. « Nous avons un mélange unique ; notre importante culture arabe, mais en même temps, il y a une facette « occidentale » à notre culture. C’est un fait. Dans notre musique, il y a diverses influences qui s’emmêlent. Nous ne trouvons ce mélange qu’à Beyrouth, ni à Amman, ni à Damas, ni nulle part ailleurs ».

Tout pour la musique
Forward Music a progressivement rassemblé un réseau de jeunes musiciens, compositeurs, ingénieurs du son, chanteurs… bien ancrés dans l’esprit de Beyrouth. Chacun apporte sa touche particulière au reste de l’équipe et au catalogue diversifié : Ghazi Abdel Baki, Ziyad Sahhab, Mustafa Said, Paul Salem… Le logo orangé de Forward donne le ton ; un pur produit du terroir. Il n’y a pas de limites à la musique, l’essentiel c’est qu’il y ait « de vrais musiciens derrière l’instrument ».
Chacun y va de ses suggestions, les discussions sont vives, l’échange continu, les idées vont et viennent, cogitent, se tassent et explosent. Une musique bien particulière distingue les productions de Forward : inscrite dans l’air du temps, celui de Beyrouth, et qui ravive, à chaque écoute, l’imaginaire de la cité, les rues et les ruelles de la capitale. Forward ne cherche pas « créer un hit, un tube », mais à produire de la « musique pertinente, ethniquement chargée, contemporaine qui exprime ce que nous sommes, l’époque et la situation que nous vivons ».
Au sein de cette petite famille, la hiérarchie est malléable, chacun assume ses responsabilités jusqu’au bout. Forward coiffe plus d’une fonction : producteur, distributeur, manager d’artistes produits par le label, détaillant en ligne d’albums libanais sortis sur d’autres labels, mais dont la musique s’inscrit dans la même lignée, ou revendeur au Liban d’artistes non libanais, tels Khaled Gubran, Makkadi Nahhas… Pour augmenter sa visibilité, Forward a lancé une série de DVD, le 1er, déjà sur le marché, étant le concert Handmade de Charbel Rouhana et l’Ensemble oriental de Beyrouth.
Priorité à la relation humaine qui lit tous les membres de Forward, exacerbée par une ambiance particulière qui vous saisit dès que vous pénétrez les studios situés à Sakiet el-Janzir. Au dernier étage, une large terrasse adéquate à l’inspiration, et à l’intérieur, la couleur orange diffuse une ambiance « zen, relaxe et laid-back », alors qu’à travers le plafond en verre, se dégage l’impression de vivre sous un ciel étoilé, ou sous une pluie battante. Dans les locaux, on se penche sur chaque projet, de jour comme de nuit, les heures s’allongent. « Le rapport entre toutes les personnes concernées doit être agréable. Il faut qu’il y ait une affinité, une vision commune et surtout de la confiance ».

Et la musique continue
Forward a franchi les barrières géographiques, pour atteindre tous les pays arabes et l’Europe. Ghazi relate les échos qui lui parviennent, via Internet, en découvrant par exemple des blogs qui mentionnent ce label et les débats musicaux que cela engendre… « Ce sont ces petits détails qui nous font sentir que nous sommes en train de faire quelque chose. Parce parfois, la lassitude est grande, il faut tout faire soi-même en tant que producteur de musique ».
D’ailleurs c’est l’idée de départ : prendre action pour faire changer les choses. Ce qu’il fallait changer en 2001, c’est le fait que les musiciens de la « world music » ne faisaient pas long feu sur le marché : « les enregistrement étaient oubliés sur les étagères au bout d’un ou deux mois » se rappelle Ghazi. Une réflexion s’impose : Où va la musique ? Comment créer un marché ? Comment assurer un suivi ? Avec Abboud Saadi et Carole Mansour, il a fondé Forward Production qui a donné naissance à Forward Music en 2003, avant que le label ne devienne entièrement indépendant en 2007.
Et les projets vont crescendo, malgré la situation critique du pays. En mai 2007, quelques jours après les incidents qui ont ensanglanté Beyrouth, le théâtre Babel accueillait sur ses planches une série de concerts organisée par Forward et qui a remplacée le festival initialement prévu, du 5 au 10 mai : « The good vibes music festival ». « Ce devait être un grand festival, avec des artistes internationaux… Mais au dernier moment on a décidé de l’annuler. En attendant d’organiser quelque chose d’encore plus grand ».
Un avant-goût donc : le 1er volume de la compilation This is the Beirut good vibes vient de sortir dans les bacs. Ghazi Abdel Baki, Ziad Ahmadieh et Funjan-Shai, Soumaya Baalbaki, Ibrahim Jaber, Jean Madani, Charbel Rouhana et Abboud Saadi présentent 9 de leurs compositions. « Il est important de créer une compilation cohérente, qui ne soit pas rassemblée de manière hétéroclite». Le but : diffuser une ambiance sereine et relaxante, « acoustique et loungy », pour façonner, en musique, l’âme beyrouthine.
http://www.forwardmusic.net/

Article paru dans le numéro 339 de l'Agenda Culturel.


Le Liban en musique 2

Je poste ici une série d'articles sur la musique dans les pubs au Liban, parus dans l'Agenda culturel.






Du folkore et de l’éclecticisme

Samedi soir… que faire ? Quel endroit pourrait constituer le sujet de cette rubrique ? Un 1er choix s’impose ; Hamra. L’éventualité de passer à Crossroads pour écouter Arthur Satyan et son groupe… peut-être un passage plus tard en soirée. Un coup d’œil au programme du Blue Note… non, pas ce soir, une autre fois sûrement. Au T-Marbouta, il n’y a rien de prévu. Alors le Café Samra, l’occasion de découvrir Arayebna, un nom qui m’a toujours intriguée. Pour commencer, un verre chez « Dany’s » et le temps file. Ca tombe bien, Arayebna ne commence à jouer qu’aux alentour de minuit. Et je gravis les marches du jardin de Zico House avant de m’attabler face aux fameuses affiches du café. Arayebna, c’est un groupe de « arayeb », cousins cousines, sœurs frères qui prennent d’assaut la scène et chantent tour à tour, accompagnés d’un oud, d’un violon, d’une derbaké et d’une basse. Bienvenus dans ces contrées populaires où il fait bon chantonner, applaudir, danser et un petit pas de dabké : Feiruz, Sabah, Magida el-Roumi, Oum Kalthoum, Sami Clark… les chansons s’enchaînent, des paroles familières, des mélodies connues. On a même droit à un « Fattoum Fattoumé ». Et les souvenirs affluent…




« Concert-hopping »

Invitation à dîner le vendredi 12 décembre, au Blue Note.
Association d’idées : article, musique, plaisir, « joindre l’utile à l’agréable »…
Direction donc la rue Makhoul pour assister à Elie Barrak et Synthia, dans leur version « jazz, funk ». Sur la « scène » qui me devient de plus en plus familière au fil des jours, travail oblige – le Blue Note reste quand même l’un des meilleurs antres de la musique live à Beyrouth – trois musiciens et une chanteuse : Elie Barrak au piano, l’incontournable Abboud Saadi à la basse, et derrière la batterie Jihad Said. Night in Tunisia, Cry me a river, Lullaby of bird land, Bang Bang, Smooth operator… Synthia enchaîne les standards jazz de sa voix éraillée… Et la nuit s’étire en nappes veloutées promettant tout un week-end en musique. Bar-concerts ou concerts tout court : le trompettiste vénézuelien Pedro Eustache accompagné du percussionniste jordanien Nasser Salamé, suivi directement d’Arthur Satyan et de son groupe avant d’assister à Ziyad Sahhab et son groupe… Jongleur noctambule à Beyrouth, et la promesse de sortir un peu de Hamra, même si finalement, tout m’y ramène, la musique en tête…




Saveurs d’Orient

Deux mardis consécutifs au Bar Louie, à Gemmayzé, à écouter Ziad al-Ahmadié et son groupe. Les ambiances diffèrent de jour en jour, au gré de balades orientales concoctées par le quartette sur scène: Ziad al-Ahmadié au oud et au chant, Baha’ Daou aux percussions, Jihad Assaad au qanoun et Jean Madani à la basse. Les chansons traditionnelles s’entremêlent aux chansons de Oum Kalthoum, Fairuz, Ziad Rahbani, ainsi que des compositions de Ziad al-Ahmadié et des longas, un genre musical de Turquie. Des rythmes orientaux ? Certes, mais l’Occident est à quelques pas, la basse électrique infuse ses sonorités et l’écoute musicale devient différente, la nuit à Beyrouth. Pas d’entracte ; le mardi d’après Rae’d Abou Kamel prend la relève du qanoun avec son naï langoureux et suggestif. Ziad al-Ahmadié enflamme la foule, se jouant de sa voix et entonnant des rythmes connus, tels « 3aychi wa7da balak », « Bint al-Chalabiya » … et la foule se mouvait en liesse, les verres d’alcool continuaient d’affluer, les vivats aussi, une heure de prolongation musicale. Les auditeurs réclamaient davantage, allant même jusqu’à demander des « special requests », quoi que ce ne soit pas un karaoké !