J’ai baissé les bras. Trop rapidement cette fois. Il a fallu 2 jours pour que je succombe. Cette fois, c’était la fois de trop, celle qu’il ne fallait pas tenter, à moins de tenter le diable… et on l’a tenté.
Jusqu’à dimanche, j’ai pu préserver mon sang-froid, et même plaisanter sur la situation. Après tout, c’est ça le fort du Libanais, comme on dit et comme me le rappelait il y a deux jours un de mes amis : on trouve toujours des blagues à raconter sur les pires choses qui secouent notre pays, depuis des années. Mais cette fois, je n’ai pas souri, je n’ai pas pu sourire. Cette fois c’est plus fort que moi. Cette fois c’est différent, car ça ressemble trop au passé d’il y a 30 ans. Ce passé que j’avais cru vraiment révolu, même si je m’échinais à dire qu’on plongeait la tête dedans et que je m’amusais à dire à mes amis étrangers que quand la guerre éclaterait, on serait face à deux choix : soit partir, soit prendre les armes, en ajoutant tout de suite après que moi je ne quitterai jamais mon pays… Je pense que je le disais juste pour extérioriser cette peur, cette crainte de replonger.
Je suis plus forte que ça, en général. Et beaucoup plus exubérante. Aucun de mes amis ne me reconnaît, je suis sur le point de me disputer avec tous, je ne parle presque à personne, emmurée dans mes pensées, dans mon silence craintif, dans la déprime et dans le sommeil.
Pourtant j’ai eu un sourire, une fois, un sourire fugace, qui a duré quelques minutes : le temps d’apercevoir sur quelques rares balcons beyrouthins le drapeau libanais. Certains de ces drapeaux étaient encore tout flamboyants, tout neufs, récemment posés là. En les voyant, mon cœur s’est presque arrêté de battre : est-il possible qu’il y ait encore des Libanais qui croient en leur Liban ? Des Libanais pour qui ce fameux drapeau tricolore a un sens ? Et je me suis longuement arrêtée devant ces balcons, essayant de deviner d’après la couleur du tissu, quand est-ce qu’ils ont été brandis ? Quand ? Ces derniers jours ? Avant ? Et si le drapeau libanais renvoyait à un camp politique ? Y a-t-il encore des personnes au Liban qui ne sont pas partisanes, ou qui n’exècrent pas tous les politiciens, au risque d’exécrer leur pays ?
Oui c’est facile de critiquer les politiciens, d’affirmer haut et fort qu’ils aillent tous au diable et qu’ils laissent ce pays tranquille. Oui, qu’ils aillent tous au diable, mais ce pays ne sera jamais tranquille. Aujourd’hui j’en suis convaincue. Quoique je le savais depuis longtemps, mais je trouvais toujours de l’espoir quelque part : dans une simple balade à Hamra, à Gemmayzé, à contempler les quelques anciennes maisons qui sont encore debout, dans un simple verre pris au Torino, ou au Nekatr, dans les rêves habillés du souffle frais de la Méditerranée à la Corniche, dans le vent printanier à Achrafieh qui a failli me faire chavirer, vu mon poids plume… Dans ma façon de conduire, que je tiens à garder civilisée, par rapport aux chauffards de mon pays, à cette horde d’hippopotames que constitue la file de voitures. Mais aussi et surtout dans ma volonté de soutenir le concept d’Etat dans un pays où l’Etat peine à exister au détriment des intérêts partisans et individuels. Un ami Français me taquinait en me disant que j’étais la seule Libanaise qui soutient son Etat, qui croit que dans son Etat il y a des citoyens qui placent bien haut l’intérêt de leur pays, des citoyens qui ne volent pas, qui ne trichent pas, qui n’avalent pas leur Etat au dépens de la partie qui les a installé à leur poste. Je m’échinais à lui expliquer que si une grande partie des fonctionnaires, tous postes confondus, sont des voleurs, des opportunistes, des voyous… il y a encore quelques exceptions, peut-être rares mais il y a des exceptions (exception qui devrait pourtant être la règle). Je ne sais pas si je l’ai convaincu, mais du moins il m’a écouté jusqu’au bout.
Mais à quoi cela sert de penser de cette manière, d’espérer en mon Liban en dehors de tout raisonnement politique, si même ces valeurs sociales restent à un niveau individuel ? Si elles ne se propagent pas et ne se généralisent pas ? Mais pour cela, il faudrait un Etat fort me dit tout le temps un ami. Donc cercle vicieux ! Ne peut-on pas appliquer ces valeurs sociales sans la crainte d’une répréhension étatique ? Il me donne comme exemple une dizaine de pays civilisés où la loi est respectée par crainte du prix à payer en infraction. Je m’insurge : soyons pour une fois plus forts que ces pays au niveau humain. C’est cela aussi le fort du Libanais : son humanité, inhumaine souvent, peureuse et lâche des fois, égoïste surtout, mais humaine dans tout le sens du mot. Maintenant j’en suis convaincue. Pour en revenir à cet ami Français qui a passé un séjour de deux ans au Liban et qui y a vécu entre autres évènements la guerre de juillet 2006, il me disait qu’au Liban on apprend ce qu’est l’humanité, l’humanité revêt tout son sens dans ce pays meurtri. Je n’ai pas honte de mon humanité inhumaine.
Faut-il à chaque fois le regard d’un « étranger » pour nous pousser à voir, à espérer…
Merci à Nat et David pour leur blog chroniques beyrouthines
Merci à Wil pour son window in lebanon
Rien que pour pouvoir inculquer ces valeurs à de nouveaux citoyens de mon pays, aujourd’hui, j’ai envie d’avoir des enfants.
Jusqu’à dimanche, j’ai pu préserver mon sang-froid, et même plaisanter sur la situation. Après tout, c’est ça le fort du Libanais, comme on dit et comme me le rappelait il y a deux jours un de mes amis : on trouve toujours des blagues à raconter sur les pires choses qui secouent notre pays, depuis des années. Mais cette fois, je n’ai pas souri, je n’ai pas pu sourire. Cette fois c’est plus fort que moi. Cette fois c’est différent, car ça ressemble trop au passé d’il y a 30 ans. Ce passé que j’avais cru vraiment révolu, même si je m’échinais à dire qu’on plongeait la tête dedans et que je m’amusais à dire à mes amis étrangers que quand la guerre éclaterait, on serait face à deux choix : soit partir, soit prendre les armes, en ajoutant tout de suite après que moi je ne quitterai jamais mon pays… Je pense que je le disais juste pour extérioriser cette peur, cette crainte de replonger.
Je suis plus forte que ça, en général. Et beaucoup plus exubérante. Aucun de mes amis ne me reconnaît, je suis sur le point de me disputer avec tous, je ne parle presque à personne, emmurée dans mes pensées, dans mon silence craintif, dans la déprime et dans le sommeil.
Pourtant j’ai eu un sourire, une fois, un sourire fugace, qui a duré quelques minutes : le temps d’apercevoir sur quelques rares balcons beyrouthins le drapeau libanais. Certains de ces drapeaux étaient encore tout flamboyants, tout neufs, récemment posés là. En les voyant, mon cœur s’est presque arrêté de battre : est-il possible qu’il y ait encore des Libanais qui croient en leur Liban ? Des Libanais pour qui ce fameux drapeau tricolore a un sens ? Et je me suis longuement arrêtée devant ces balcons, essayant de deviner d’après la couleur du tissu, quand est-ce qu’ils ont été brandis ? Quand ? Ces derniers jours ? Avant ? Et si le drapeau libanais renvoyait à un camp politique ? Y a-t-il encore des personnes au Liban qui ne sont pas partisanes, ou qui n’exècrent pas tous les politiciens, au risque d’exécrer leur pays ?
Oui c’est facile de critiquer les politiciens, d’affirmer haut et fort qu’ils aillent tous au diable et qu’ils laissent ce pays tranquille. Oui, qu’ils aillent tous au diable, mais ce pays ne sera jamais tranquille. Aujourd’hui j’en suis convaincue. Quoique je le savais depuis longtemps, mais je trouvais toujours de l’espoir quelque part : dans une simple balade à Hamra, à Gemmayzé, à contempler les quelques anciennes maisons qui sont encore debout, dans un simple verre pris au Torino, ou au Nekatr, dans les rêves habillés du souffle frais de la Méditerranée à la Corniche, dans le vent printanier à Achrafieh qui a failli me faire chavirer, vu mon poids plume… Dans ma façon de conduire, que je tiens à garder civilisée, par rapport aux chauffards de mon pays, à cette horde d’hippopotames que constitue la file de voitures. Mais aussi et surtout dans ma volonté de soutenir le concept d’Etat dans un pays où l’Etat peine à exister au détriment des intérêts partisans et individuels. Un ami Français me taquinait en me disant que j’étais la seule Libanaise qui soutient son Etat, qui croit que dans son Etat il y a des citoyens qui placent bien haut l’intérêt de leur pays, des citoyens qui ne volent pas, qui ne trichent pas, qui n’avalent pas leur Etat au dépens de la partie qui les a installé à leur poste. Je m’échinais à lui expliquer que si une grande partie des fonctionnaires, tous postes confondus, sont des voleurs, des opportunistes, des voyous… il y a encore quelques exceptions, peut-être rares mais il y a des exceptions (exception qui devrait pourtant être la règle). Je ne sais pas si je l’ai convaincu, mais du moins il m’a écouté jusqu’au bout.
Mais à quoi cela sert de penser de cette manière, d’espérer en mon Liban en dehors de tout raisonnement politique, si même ces valeurs sociales restent à un niveau individuel ? Si elles ne se propagent pas et ne se généralisent pas ? Mais pour cela, il faudrait un Etat fort me dit tout le temps un ami. Donc cercle vicieux ! Ne peut-on pas appliquer ces valeurs sociales sans la crainte d’une répréhension étatique ? Il me donne comme exemple une dizaine de pays civilisés où la loi est respectée par crainte du prix à payer en infraction. Je m’insurge : soyons pour une fois plus forts que ces pays au niveau humain. C’est cela aussi le fort du Libanais : son humanité, inhumaine souvent, peureuse et lâche des fois, égoïste surtout, mais humaine dans tout le sens du mot. Maintenant j’en suis convaincue. Pour en revenir à cet ami Français qui a passé un séjour de deux ans au Liban et qui y a vécu entre autres évènements la guerre de juillet 2006, il me disait qu’au Liban on apprend ce qu’est l’humanité, l’humanité revêt tout son sens dans ce pays meurtri. Je n’ai pas honte de mon humanité inhumaine.
Faut-il à chaque fois le regard d’un « étranger » pour nous pousser à voir, à espérer…
Merci à Nat et David pour leur blog chroniques beyrouthines
Merci à Wil pour son window in lebanon
Rien que pour pouvoir inculquer ces valeurs à de nouveaux citoyens de mon pays, aujourd’hui, j’ai envie d’avoir des enfants.
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