mercredi 7 mai 2008

Le cauchemar Beyrouthin


Mercredi 7 Mai:

Ceci n'est pas un billet pathétique. Mais un billet libanais, bien libanais.

Je suis actuellement à la maison. Et comme tout bon Libanais, évidemment, en ce jour de grève noirâtre, la télé est allumée, et je zappe chaque quelques minutes, en essayant de trouver la dernière info sur le terrain. Mais, comme d'habitude, les télés locales nous servent leur sauce habituelle: des talk-shows à en mourir de rire et de frustration. A la fin, et c'est une évidence, on n'écoute même plus, (ça c'est si déjà on écoutait avant, mais c'est surtout pour les flashs info urgents: d'ailleurs une petite parenthèse: la VDL devrait arrêter ces petites pubs qu'elle lance chaque 30 minutes, le fameux "maktab el-ta7rir", mais c'est pas dans un khabar jadid, c'est juste une pub pour le "khabar sari3" sur msn ou msg, je ne sais pas).

Enfin, bref, on se pose des questions, mais on n'attend pas de réponses. Personnellement je m'attends à une sorte d'apocalypse demain matin... Au réveil, je sens que ça va être bon. Vous vous rappelez, juillet 2006... Oui, je sens qu'on n'est pas très loin de ça... A moins que Sayyed Nasrallah ne nous réserve cette apocalypse pour après son discours. Et soit dit en passant, en plus des émeutes, des pneus brûlés, des routes coupées (ce soir, pour la 1ère fois de ma vie, j'ai pris l'autoroute en sens inverse, toute l'autoroute... mais les flashers étaient allumés!... On ne sait jamais, faut prévenir les citoyens si on veut rentrer chez nous... pour éviter les accidents quoi!). Donc je disais en plus de tout ça, on a peur des tirs de joie, vu que en principe, le numéro 2 de l'Etat était censé montrer son joli mignon à la nation et nous balancer ses blagues habituelles, et ses jeux de mots en dialecte arabe (tellement difficiles à traduire d'ailleurs...). Et demain faut penser à se couvrir pour le discours du sayyed...

Enfin, je me demande si ces 300 iraniens qui ont débarqué à l'aéroport international Rafic Hariri vont assister à la conférence de presse que je dois couvrir demain pour... tenez-vous bien... le lancementdu festival de Beiteddine... Hahahahaha... C'est dramatique tout ça... Encore un été de perdu... à moins que les artistes étrangers veuillent bien atterrir à un aéroport plus modeste, vous l'avez deviné... celui de Koleyat, qui sera prêt sous 24 heures....

Et dire que j’étais supposée interviewer demain Bernard Lavilliers… Quand on m’a prévenue de cette mauvaise nouvelle… eh bien, je me suis excusée, auprès d’une libanaise en plus, et j’ai balbutié un truc comme « ce pays est absurde »… Absurde, non ???
Enfin, je me rappelle d’un truc qu’on m’a dit une fois : « Au Liban, on ne fait pas de plan, on réagit »…


Jeudi 8 Mai :

Beyrouth est sur le fil du rasoir…
Ce soir, je n’ai pas du tout envie de plaisanter… Les boums emplissent l’air de ma capitale et pullulent la connerie. La GUERRE CIVILE… On est tout près, on y est… Ils n’hésitent plus à le dire… Mais au moins une bonne choses, ils ont décidé d’ouvrir leurs yeux et de voir finalement ce qu’on vit depuis longtemps… la GUERRE CIVILE…
De tous les côtés, on espère que ça ne va pas durer… à part quelques imbéciles, qui hélas sont quand même très nombreux, personne n’en veut de cette guerre… Mais eux ils la veulent…Et nous on la fait.
C’est vrai, tiens, d’un coup, je mets trop de points de suspension. C’est l’incertitude je pense.

Vendredi 9 Mai :

Ça ne l’est plus. Les dés sont jetés. Le coup d’Etat est bien là, en bonne et due forme. Nous entre temps, on attend. Le même scénario se répète depuis des années. Je ne vais pas dire depuis plus de 30 ans, j’étais très jeune à l’époque. Mais pour mes parents, c’est effectivement depuis plus de 30 ans, plus même. Ils attendent que… Moi, je vois les choses différemment, ou plutôt je compte les choses différemment. En temps suspendu : 7arb al-ta7rir, 7arb el-elgha2 (je n’arrive jamais à la traduire exactement, et quelle que soit la traduction que je trouve, je ne la trouve jamais satisfaisante, c’était tellement différent), la guerre de juillet 2006, et maintenant le coup d’Etat, la guerre dans les rues et le blocus, ou les blocus…

« Le temps d’un coup d’Etat », le temps d’un verre… Et le temps de voir certaines rues de Beyrouth, qui jusque là sont épargnées du sang qui coule et des mitraillettes qui criblent, mais emplies de ces voyous qui rêvent de sang. C’est une idée qui m’obsède celle-là. J’en parle souvent ; au fait j’ai peur du désoeuvrement qui transforme les jeunes en voyous, en voyous armés. La guerre de 2006 l’a fait, et maintenant on est tout prêts. J’espère que les barbus hezbollahis ne vont pas penser à envahir Achrafieh. Car les « chabeb » des Forces libanaises n’accepteront pas de rester les bras croisés. Alors ce sera « aux abris ou aux armes ! » Et les tranchées…

On est vraiment perdus sur nos télés, à essayer de saisir et les évolutions sur le terrain et les discours politiques. Un passage est très fort : celui de Walid Joumblatt coincé dans sa maison à Clémenceau et qui affirme qu’il refuse de quitter Beyrouth, qu’il restera aux côtés des citoyens quel que soit la situation… Chapeau bas, Walid bek… un grand acteur certes, mais émouvant. Et les retombées de ces déclarations seront sûrement spectaculaires… Déjà c’est un leader du 14 mars menacé de mort depuis trois ans et maintenant encerclé par ses compatriotes du Hezb et d’Amal. Le 14 Mars la joue victime à merveille, il était temps. Saad Hariri est encerclé à Koraytem. Le Grand Sérail aussi avec le 1er ministre Fouad Siniora et plusieurs autres ministres, depuis plus d’une année en tout cas.

Quelques minutes et je reviens : j’attends la déclaration de l’Alliance du 14 Mars à l’issue de leur réunion urgente à Maarab.
Mais je suis sortie, c'est plus fort que moi. Dans le seul petit pub qui reste ouvert malgré tout, car on a bien besoin de souffler un peu, de respirer...


Samedi 10 Mai:

La Grande Muette aurait dû rester muette...
Dimanche 11 Mai:
Les mots n'ont plus aucun sens... Face à une telle absurdité.
Le cessz-le-feu vient d'être décrété à partir de 18h à Aley et ses environs... Dans quelques minutes tout est supposé rentrer dans l'ordre. Mais quel ordre?
Celui de l'émigration. Tout le monde veut quitter le Liban, et tout le monde a raison. Ce soir ça m'a giflé en pleine figure, j ai perdu mes mots et mes arguments. Mes concitoyens ont raison... La raison n'a plus raison d'être... Les barricades ont tout remplacé, les barrages pointent à chaque nouvel horizon. Les routes sont bloquées de partout, à l'intérieur d'une même région. La musique ne me console pas.
On est tous en train de baisser les armes... Pas les vraies, d'autres la brandissent bien haut...
J'ai peur... Depuis des années, je ne l'ai pas ressenti cette peur, mais maitenant elle m'empoigne. Je ne suis même plus en colère... ni frustrée... j'ai simplement peur... peur de perdre Beyrouth...

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