dimanche 28 février 2010

La saveur d'une nuit

En borborygmes alcoolisés

Sur les tables, des verres qui traînent et qui s’enchaînent. Et dans les bars, des gens qui se côtoient et qui font connaissance. La nuit à Beyrouth, c’est toute une histoire. Différente.

Et l’alcool alors ? Acteur incontournable de toute soirée beyrouthine qui se respecte. De plus en plus, on tend à rendre justice à cet « élixir des dieux » ; point d’ancrage de l’architecture du pub, notamment dans la conception de l’éclairage en cônes lumineux pour raviver la variance des teintes alcoolisées. Pur, brut, cocktalisé, aromatisé, épicé… long, short, shot, coupe… full ice, no ice, crushed ice et « trois à quatre glaçons seulement, s’il te plaît. Ils sont gros vos glaçons ? »… bref un bon verre. En fonction de l’humeur, de l’heure, de l’endroit, du pécule et il le faut bien, en fonction de l’estomac…
« Alors, ça sera quoi ce soir ? La même chose ? » « Euhhh », le temps de jeter un coup d’œil machinal à ma montre. Mais il n’y a pas d’heure fixe pour commencer à boire, non ? Le soleil commence à se coucher… les bières, des Almaza de préférence pour les Libanais que nous sommes, commencent à s’aligner sur le zinc, tout le temps bues au goulot, jamais dans un verre. Sauf quand il s’agit de la fameuse mexican beer, et qui malgré son nom, est au fait un produit du terroir. Peu d’étrangers comprennent le concept étranger de cette fameuse chose, mais bon, nous les Libanais, nous raffolons du goût acide du citron, avec un brin de sel. Une fois passés les préliminaires, à moins de rallonger la saveur levée de la bière tout au long des heures qui défilent, nous pouvons attaquer les choses sérieuses.
Verre ambré, sucré, amer, coloré sur lequel se répercute la lumière ambiante faisant varier ses mille et un reflets, autour duquel se construisent les discussions enflammées, sur lequel s’échelonnent les étapes de nos éternelles virées dans la presque sacralité de la nuit à Beyrouth et ailleurs.

La nuit s’apprivoise

Et derrière le verre, derrière le bar, le créateur de doses, le funambule des arômes, le médiateur, l’équilibriste, le jongleur… on l’appelle aussi bartender. LE métier de la nuit en coulisses, sur scène et en public. Le dosage parfait n’existe pas, les dosages parfaits, si. Les coudes se soulèvent pour verser le liquide d’un geste élancé, remplir le verre de glaçons, écraser le sucre brun avec les tranches de lime finement ciselées ou avec les feuilles de menthe, rajouter les épices, tabasco, soya, poivre, rajouter la tranche de citron ou d’orange. Et secouer le mélange, chacun son style, dans le shaker, instant artistique, ou vu comme tel de derrière le bar. Verser, déverser et pour parachever le tout, trancher la paille d’un coup net de couteau avant de servir tout frais. L’arme fatale qui ravive le goût des alcools blancs mélangés au sucre. Parce que la paille atteint le fond d’un verre de mojito, de caipirina, de caipirova et ses succédanés…… pour que l’alcool monte plus rapidement à la tête.
Notamment la vodka. De secret de bartender, cet alcool est le plus utilisé dans les cocktails. Pour une simple raison, les trois less : « oderless, tastless, coloress ». Les alcools blancs à la rescousse : tequila, rhum, gin, triple sec… pour des cocktails aux noms exotiques ou évocateurs : sex on the beach, cosmoplitan, amaretto sour, gin gimlit, amorgos, margarita, red iced tea, black russian… Et puis il y a les cocktails qu’on invente, auquel on s’amuse à donner un nom, un cocktail fait maison : chain saw, Lili… Le bartender mixe, métisse, dose et innove au fond de son œuvre. Et parce que l’alcool se boit à deux, il fait goûter ou savourer.

« J’ai récupéré ma place en juillet 2006. Ça a même traîné jusqu’en août. Personne ne s’y attendait, mais j’ai eu des confirmations. Les Libanais, ou du moins une grande partie d’eux, l’ont crié, écrit, dessiné sur les blogs et ailleurs, ils l’ont joué, filmé, photographié. Ils l’ont surtout vécu ». Sans entrer dans la polémique de la décence ou de l’indécence en cet été de toutes les horreurs, de tous les cauchemars. « J’étais souvent ce qu’il fallait au moment où il le fallait », pour amortir les bruits, pour dormir, pour dépasser l’absurdité, pour supporter l’impuissance, pour résister culturellement face à l’impuissance de réagir, au bout de deux tournées de Long Island sur vitaminés.
Et entre deux verres, les contacts se tissent, des deux côtés du bar. Un verre est rarement un simple verre, c’est une discussion qui s’engage. Sur la table, un verre de vin rouge et un whisky, et autour deux têtes qui se regardent, se jaugent, de loin, de près. Des étrangers et des autochtones qui s’échangent leurs modes de vie et de pensée. L’arak n’est plus le « whisky libanais » du temps des mezzés stéréotypés et des festins copieux. Du temps de l’apéro où en boire tout au long du repas était un sacrilège ! Actuellement, la mousse vaporeuse et blanchâtre déborde aux alentours de nos repaires noctambules.
Il est vrai que les Libanais sortent de plus en plus pour passer du bon temps, pour profiter au maximum des accalmies qui se succèdent au sein de l’instabilité qui s’installe et s’éternise. Aussi éphémère que le siècle plaisir, un shot bu d’un seul coup, et le goût de l’alcool qui résiste au palais, celui des B52, AK47, brain damage, dodo (ou olive shot), jagermeister, flaming lamborgini, slippery nipple, liquid cocaine… Je suis partante. Puis l’ultime épice alcoolisé : le champagne et ses bulles pétillantes qui font frémir les verres et les cocktails. Une goûte que le bartender fait jaillir et émousser à la surface d’un shot d’un coup brusque sur le bois du zinc. Son nom le dévoile ; c’est un slammer. Et je rentre, titubante, de l’émerveillement des nuits beyrouthines.

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