La nuit des 1001 sons
Liban Jazz a entamé sa 7ème édition « All Stars » par le concert d’Enrico Rava Quintett, qui a eu lieu, le dimanche 7 février, au Music Hall. Un grand moment de musique.
Ils étaient nombreux à affluer au Music Hall, ce dimanche 7 février. Et pour cause, sur scène trônait l’une des légendes vivantes du jazz : le trompettiste italien Enrico Rava, accompagné de ses musiciens, tous aussi merveilleux. Ils ont tenu la foule en haleine, durant environ deux heures. Un concert qui restera inoubliable, exceptionnel dans ses moindres détails.
Enrico Rava lance un rapide « bonsoir », présente les musiciens, et la première note fuse. Une seule note, fugace, suivie d’autres de plus en plus fortes, de plus en plus prolongées. Enrico Rava fait danser ses doigts sur les pistons de son instrument, la trompette s’aiguise, se matérialise, s’humanise… la magie s’installe. Le show commence !
Une étrange impression vous empoigne : celle d’assister à une création, la création d’une transe musicale, où tout est dans l’instant. Le ton est donné : l’improvisation est le fil rouge de cette soirée menée tambour battant. C’est le chic d’une trompette, celle d’Enrico Rava, et le choc est instantané. C’est l’audace d’un trombone, quand Gianluca Petrella s’en empare. C’est le groove d’une contrebasse, alors que Piero Leveratto pince les cordes. C’est la puissance d’une batterie menée subtilement par Fabrizio Sferra. Et c’est l’inspiration d’un piano face à Giovanni Guidi. Chacun de ces musiciens est habité par son instrument. Ou inversement, donne corps à son instrument. La passion se déchaîne. La scène s’enflamme et la salle exulte.
Une synergie électrisante
Les morceaux s’enclenchent rapidement, à peine entrecoupés par de très brèves pauses. Partagé entre l’envie d’applaudir, d’exprimer sa joie, d’approuver par un cri presque jouissif, et le besoin impérieux de ne rater aucune note si un applaudissement perçait, le spectateur est comme happé par cette sensation d’assister à un seul très long morceau où le temps se suspend. Rien que du groove, du feeling, du rythme, tantôt langoureux, tantôt endiablé, entre swing, beebop, et free jazz. Les frontières se distillent, et il ne reste que le pouvoir du son. Et les sons s’émiettent magiques, enchanteurs, comme sortis d’un chaos où tout s’organise. Ce soir au Music Hall, l’air s’est empli de sons différents, inventifs, créatifs, novateurs, audacieux. Saccadés, secs, bruts, aigus, fluides, entrecoupés de chuintements, de sifflements, de tapotements… l’un enclenchait un rythme, l’autre le suivait, les instruments fusionnaient, se côtoyaient, s’éloignaient, se retrouvaient… l’essence du free jazz dans toute sa splendeur.
Enrico Rava siège en maître enchanteur, dirigeant et accompagnant ses musiciens ; d’un regard la communication s’établit. Une synergie électrisante anime la scène. Quand l’un des musiciens entonne son solo, tout est merveilleusement mis en scène pour exacerber le brio de son jeu. Giovanni Guidi plane presque au dessus de son tabouret, alors que ses doigts parcourent les touches du piano, Piero Leveratto manipule tous les possibles accords au long des cordes de sa contrebasse, et Fabrizio Sferra donne le rythme tout en nuances et en énergie. Le jeune tromboniste Gianluca Petrella ranime particulièrement les passions. Chacun de ses gestes véhicule une large bouffée d’audace, à l’état brut. Qu’il contorsionne son corps au rythme de son trombone, et voilà qu’un immense râle s’en dégage. Un cri de ralliement ! A vos gardes ! Le suspense ne faiblit pas un instant ; le public n’est jamais au bout de ses surprises. Une vraie partie de plaisir. D’un coup, la trompette se plaît à engager un duel ludique avec le trombone ; Enrico Rava souffle dans son instrument émettant des sons contorsionnées et étouffés qui semblent jaillir tout droit de ses joues gonflées, Gianluca Petrella suit le jeu, l’amplifie, insuffle un grand coup, et le trombone semble presque beugler !
Décontractés, souriants, et rêveurs, les musiciens s’en donnent à cœur joie pour le plus grand plaisir de l’auditoire. Le temps file, les cadences s’enchaînent, et c’est la fin de deux heures d’enchantement. Les applaudissements fusent alors, sans aucune retenue. Les musiciens s’éclipsent. Avant de revenir, sous les vivats, pour un rappel. Enrico Rava demande l’aide du public pour reprendre les vocalises d’un standard de jazz, alors que le quintette fait entonner ses instruments en une dernière fanfare. Un temps suspendue, la vie reprend, bouleversée par un grand moment de musique. Merci M. Rava !
Article publié dans Magazine, #2727 du 12 février 2009
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