L’Olympe des Infortunes de Yasmina Khadra
La lecture continue au-delà…
Ils sont deux, Ach et Junior. Des clochards, des SDF? Non, plutôt des Horrs, des hommes libres. Des hommes qui ont décidé de s’isoler du reste de la société, de vivre en marge d’un monde cruel. Des hommes libres. Du moins, le croient-ils. Est-ce que nous les envions? Est-ce que nous envions cette liberté qu’ils croient avoir, du fond de leur âme? Alors que nous lecteurs somme embourbés dans notre quotidien, dans notre consumérisme, dans notre capitalisme, dans notre volonté de gain, dans notre confort. Mais si nous les envions, ce n’est que pour un moment seulement, quand Ach, le borgne, le sage, le musicien, joue de son banjo pour Junior le simplet, quand Yasmina Khadra enveloppe ses personnages d’une aura de tendresse et de poésie. Mais cette fascination ne dure que quelques minutes seulement, que quelques pages, parce que Yasmina Khadra, d’un coup, nous met face à la déchéance humaine, nous met face à notre actes, aux conséquences de nos actes, à notre culpabilité, face à un monde que nous avons façonné de nos propres mains, de nos propres désirs. Il nous met face à nos sociétés. Avec toutes ses hiérarchisations, ses travers, ses despotismes. Et voilà que le lecteur découvre tout l’univers des clodos qui entoure Ach et Junior : il y a le Pacha, cette espèce de dieu qui fait le beau et le mauvais temps, il y a Négus qui nourrit toujours des rêves de victoire militaire, il y a Dib, Haroun, Pipo, Mama, Mimosa… Ils forment un clan, une cour, une société. Une société qui semble sans espoir, sans lendemain.
« J’ai été tout et pas grand chose sans jamais baisser les bras »
Si le lecteur ressent une pique d’envie aux premières pages du roman, c’est que Yasmina Khadra l’écrivain a été jusqu’au bout de sa fonction. C’est qu’il a réussi à nous porter loin de notre existence, à nous guider au fil de la lecture, à nous ouvrir mille et une possibilités et à nous mener finalement jusqu’au bout du chemin qu’il avait tracé. Dès le départ. Parce que si le lecteur est appelé de par sa fonction à se laisser aller, l’écrivain est appelé de par sa fonction à diriger. A nous diriger à notre insu et de notre plein gré. Et nous voilà d’un coup face à une impasse. Celle d’une société éternelle, universelle. Une société condamnée. Une société qui s’est condamnée. Qui ne cesse de se condamner. Mais une société qui peut changer. Qui pourrait changer une fois que la dernière page est tournée. Une société qui pourrait transformer le désespoir du dénouement en un nouvel espoir. Un nouvel espoir en la race humaine. Comme le clamait le personnage Ben Adam. C’est entre l’apparition de Ben Adam, l’homme éternel, et la fin de roman, que l’Homme est appelé à réagir. À se réveiller. C’est parce que Ben Adam insuffle l’espoir. C’est parce que cet espoir s’essouffle dans la fiction, que l’espoir peut exister au-delà des 232 pages, dans la réalité de nos vies. Et vous voilà à nouveau face au monde. Face à nous-mêmes.
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