La manière de conduire des Libanais est légendaire ! Tout le monde le sait, notre réputation nous a devancé aux quatre coins de la planète. Il y a vraiment de quoi sourire, profondément…
De klaxons tonitruants, en passages à sens inverse spectaculaires, en insultes, en tochfit, en démonstration frém id ou bitwinét… et j’en passe. Et puis il y a les feux de circulation routière…Toute une histoire avec ces bidules longilignes qui sont installés au Liban depuis un peu plus d’une décennie, pas plus… Nous n’y sommes pas encore complètement habitués, nous aimons prendre notre temps en général, pour explorer les nouveautés, s’y accoutumer petit à petit…Et pour preuve supplémentaire, l’arrêt au feu rouge varie en fonction des tribulations de notre pays.
En mai 2008, après la mini-guerre civile qu’on a eu, le passage d’Acharfieh à Hamra a été dur durant les quelques jours qui ont suivi la fameuse prise de Beyrouth… Francs-tireurs, miliciens armés, angoisse, rues désertes, semi désertes et visages hagards. Feu ou pas feu, l’essentiel était d’arriver à bon port, le plus rapidement possible, avec un minimum d’attention. Et une hantise, surtout ne pas s’éterniser face à un feu. Une position facile et accessible à tout badaud armé…
Sans oublier qu’après la levée du sit-in du centre ville, qui rendait impraticable une grande partie des rues, donc inutile une grande partie des feux, il a fallu s’habituer à nouveau à la convergence des voitures aux multiples croisements, et à l'ordre établi par la signalisation routière.
Durant la guerre de juillet 2006, il fallait beaucoup de patience et d’auto encouragement. Il ne s’agissait pas simplement d’attendre que le feu vire au vert, mais qu’il y ait une autre voiture (surtout pas un camion !) à côté ou derrière la mienne…La logique du moment m’imposait, pour je ne sais quelle raison, la nécessité de ne pas être la seule voiture à traverser un des ponts de la capitale, avec les menaces et les rumeurs qui circulaient comme quoi ce fameux pont, reliant les deux côtés de Beyrouth, serait une des prochaines cibles de l’armée israélienne. Mais on ne savait pas le timing, alors on appuyait de toutes nos forces sur l’accélérateur… Une fois engagée sur la route, plus moyen de faire marche arrière. Je n’ai jamais auparavant de ma vie dépassée, et de loin, les 100 km sur cette route.
Et en temps normal, alors ? (ou ce qu’on peut appeler normal au Liban). Un soir sur mon trajet de Hamra à Achrafieh, comme à mon habitude, je m’arrête à un feu rouge. Evidemment j’étais la seule. Emportée par la musique qui émane de mes baffles, un coup furtif sur la vitre me fait sursauter. Un militaire, l’air renfrogné me dévisage. J’ouvre la vitre, et voilà qu’il me demande pourquoi je suis garée en plein milieu de la route ! J’ai l’air suspecte toute seule… qu’est-ce que j’en sais moi… c’est lui le pro ! Sans un mot, je lui indique ce petit clignotant ROUGE au bout. Enervé, il m’ordonne de bouger avec ce geste désinvolte de la main qui veut dire : «mich ma3oul, chou béla fadé !» (traduction : «elle n’a rien d’autre à faire de plus important, celle-là»). Et je suis partie, comme on me l’a fait comprendre.
Et depuis…
Et depuis, rien n’a changé. Je continue à respecter le feu rouge, en attendant qu’ON m’ordonne à nouveau de le brûler…Ou qu’on ait une nouvelle guerre…
Ah, pouvoir récolter toutes les histoires relatives à la circulation à Beyrouth, à la manière de conduire des Libanais. Un régal. A propos, pour ceux qui ne connaissent pas, le plus beau texte et le plus hilarant que j’ai jamais lu sur ce sujet, rédigé par une main de maître, celle du metteur en scène libanais Elie Karam : «La route de soi» disponible dans le numéro spécial de la Pensée de Midi (no20-mars 2007) consacré à notre cher pays : «Beyrouth XXIe siècle»… Vous serez sûrement catalogué parmi les personnes qui rient toutes seules face à un bouquin…