dimanche 3 août 2008

Quel message?

« Liban, pays message » : le créateur de cette fameuse citation aurait pu s’en mettre plein les poches, s’il l’avait voulu, en récoltant les droits d’auteur à chaque fois que quelqu’un utilise ce cliché, il faut bien le dire. De nos politicards aux politicards étrangers, les Français en tête – faut bien aussi c’est notre chère Mère patrie – aux simples citoyens lambda, quand ces derniers ne préfèrent pas un autre cliché comme le pays du cèdre…
Pays message : ce syndrome nous colle à la peau. Absurde de l’évoquer encore au moment où le sang confessionnel de mai n’est pas encore oublié, au moment où à Hamra, à chaque coin de rue, le signe du PSNS jaillit de derrière une devanture, sur une banderole clamant haut et fort l’appartenance de cette région à un parti politique affilié à une confession, à un mouvement…
Pays message ou non, le message existe : il est dans le son du muezzin. Une constatation qui s’est imposée en quelques minutes, le temps de synthétiser les donnes et les sensations que je récolte depuis plus de deux ans déjà.

Il a suffi d’une nuit passée à Zouk, du côté de Jounieh pour me réveiller une fois aux sons des cloches… mais j’ai beau tendre l’oreille, et m’attendre à la suite… il n’y en avait pas. Les cloches claironnaient allègrement, sans concurrence, elles tintaient et tintaient de « l’aube claire jusqu’à la fin du jour… ». D’un coup je me suis sentie tellement nostalgique de la rue de Damas, de la rue du Musée national, à mi-chemin, entre les deux antres de Beyrouth… La rue où mon premier réveil s’effectuait au son du muezzin, mon deuxième au gazouillis des oiseaux, et le troisième au tintement des cloches. Antoine Boulad disait bien dans sa Rue de Damas que « c’est grâce au muezzin de la mosquée de ce quartier […] que je pus grandir avec la musique de la différence, celle qui me protègera, ma vie durant, de la fermeture du cœur et de l’esprit ».
Un de mes amis résidant à Rass-Beyrouth depuis son enfance suffoque dès qu’il sort de cette région. Il m’explique souvent qu’il a besoin d’entendre le muezzin cinq fois par jour… Je le comprends… je commence à étouffer, physiquement, viscéralement, dès que j’atteins la Place Sassine, au centre d’Achrafieh, le terreau du christianisme de Beyrouth, vous savez, cette contrée phénicienne… comme on nous l’a si bien enseigné dans nos livres d’histoire !!
Vivement Hamra et ses ruelles embouteillées…

vendredi 1 août 2008

Beyrouth, ou la galère musicale



Une trop longue absence loin des mots, loin du net. Mais toujours dans la musique, de plus en plus même. Cette fois c’est un peu différent, cette fois c’est en coulisses. Dans les méandres de la musique locale. Et croyez-moi, des fois, souvent, voire toujours, c’est la galère pour les musiciens, nos musiciens.
Un musicien libanais a les pieds sur terre, et un regard dans le rêve. Obligé de garder le contact avec la réalité sinon il est ravalé par la stupidité d’un peuple ignare, débile, assoiffé de facilité, de commercialisation à outrance et nourri de ce fameux air de la bêtise. Caustique peut-être, sévère sûrement, mais à juste titre. Je ne supporte plus cette opulence libanaise, cette bombance festive et bling-bling à paillette et dorure. Cette opulence qui prétend vouloir acheter l’âme de l’art, l’âme de la musique, l’âme des musiciens.
Mais eux c’est sur scène que leur réalité se concrétise. Au Bar Louie ce soir, ils s’en sont donnés à cœur joie. Percussions, piano et basse, les notes affleuraient l’esprit du jazz, cette entité évanescente que les musiciens coincent dans leurs instruments, qu’ils touillent et triturent pour l’offrir au public, à ces personnes qui s’entassent tous les soirs dans les pubs beyrouthins. Inconscientes des heures de labeur passées à s’entraîner, à accorder les instruments, le son, à peaufiner le moindre détail pour que la communion sur scène soit contagieuses, pour que le public s’enflamme et ressente les réverbérations musicales jusque dans sa chair, pour que la scène à son tour bouillonne davantage… pour que le public… pour que la scène… pour que…


Spectatrice assidue et silencieuse de ce va-et-vient oscillant, je m’essaie au jeu de rôle. Une fois je suis ces cordes que Jean Madani coince entre ses doigts, l’autre les murmures que Tarek Yamani engendre sur son clavier, ou les baguettes que Khaled Yassine ou Samer Zagher font résonner sur leurs caissons, puis ces graines que Selman Baalbacki secoue au fond de ses percussions… et au-delà jaillit la voix de Florinda Piticchio et ses airs de latin jazz, à l’italienne pourquoi pas… Des moments suspendus où l’intensité le dispute à l’extase, où phrasés, mélodies et paroles s’enchevêtrent… jusqu’aux applaudissements à chaque morceau…

Et après ! Après les applaudissements, branle-bas de combat… Avant les applaudissements aussi. Parce que parmi la horde d’ignares, se trouve l’une des bêtes noires des musiciens : les propriétaires des pubs, des clubs, des restaurants et autres endroits réceptacles de la musique… Près de leurs sous, ce n’est pas autant cela, en tout cas ce serait compréhensible, après tout rares sont ceux qui ont ouvert leurs portes pour les beaux yeux de l’art… Mais l’indécence a ses limites… quand elle oblige un faiseur de magie à moduler ses sons… à regretter l’espace de plusieurs vies de chambouler des vies…
De retour du Bar Louie, je me suis finalement décidée à tenter d’écrire ces quelques lignes. La musique me berce encore, pleine de tristesse et de mélancolie. Mais il restera toujours une image : la communion scénique en musique et le dialogue des instruments et des musiciens, le sourire complice entre leur regards…